samedi 25 octobre 2014

L’accro du shopping chez Apple

Isla Fisher dans le rôle de Becky Bloomwood (Confessions d'une accro du shopping, 2009)

Produit et  symptôme de l’époque placé au carrefour de plusieurs sciences, la publicité entretient avec la culture une relation d'influence réciproque. C'est un instrument commercial et une institution sociale du fait qu'elle est une articulation entre les objectifs du système de production et les désirs du consommateur. Support de tous les moyens de communication et soutenue par eux, la publicité nous envahit quotidiennement par des milliers de stimulations : elle s’exprime comme le désir par des images et par du langage.
 

Bien souvent, la mise en scène de la convoitise dans les images et les spots publicitaires est marquée par un déchirement schizophrénique entre la stigmatisation judéo-chrétienne et la reconnaissance freudienne, entre la satisfaction d’une envie et le pardon de la culpabilité de l'avoir satisfaite.
 

La fétichisation des objets et l’importance dont ils sont investis dans la société de consommation impliquent un renversement du système des valeurs traditionnelles. Plaçant les biens matériels au centre des préoccupations, les pubs rivalisent dans la présentation des personnages prêts à tout pour ne pas « rater leur vie » et rejoindre les rangs des heureux propriétaires, y compris le vol, le mensonge, la trahison et les incivilités de toute sorte. C'est un monde à l'envers où le principe de réalité semble évincé par le principe de plaisir.* Le paradigme sémantique véhiculé par ce matraquage publicitaire se lit dans le lexique utilisé pour la description d’un désir immodéré : on y trouve « tentation », « résistance », « succomber »,  « péché » (mignon) et les différents vocables censés donner une idée de la volupté vécue dans le feu de cette passion destructrice.

D’une part, le surinvestissement du plaisir (sensuel, statutaire ou du plaisir de posséder), d’autre part, l’accentuation de la force d'un désir impulsif et incontrôlable apparaissent comme des moyens de donner envie dans un monde saturé de services et de marchandises.

 
Fait significatif, dans les médias la fièvre acheteuse est avant tout déclinée au féminin et associée à une sorte d’hystérie, cette pathologie que les Grecs anciens liaient à une maladie de l’utérus. D’où la figure d’une acheteuse compulsive popularisée ses dernières années sous l’avatar d’une « accro du shopping » : une créature écervelée, égoïste et capricieuse qui fait passer son narcissisme pour de l’autodérision. La situation est sans issue, vu que chaque pierre jetée à cette consœur faible et obsédée vous fait taxer d’hypocrisie.

Ce sont d’autant plus de raisons de s’arrêter sur cette brève de Gorafi au titre racoleur : Elle vend son bébé malade pour acheter un iPhone 6.  Elle aurait pu nous échapper si elle n’avait pas été reprise en couverture du magazine Stylist, n° 64 du 9 octobre 2014. Cela dit, ce précieux « témoignage » qui semble sorti tout droit d’une page de pub méritait largement d’être sauvée de l’oubli :

 

« Quand j’ai vu la queue devant l’Apple Store, je me suis dit : c’est une révolution. Il faut que je l’aie », a déclaré la jeune mère de famille pour expliquer la vente, mardi, d’Oscar, son fils de 3 mois, sur Internet. « Je n’en pouvais plus de mon flip phone, j’ai dû trouver une solution ». Malheureusement, Oscar étant atteint de psoriasis, elle n’a pu en tirer le prix escompté et a dû se résoudre à acheter un Galaxy […].
 

Stylist, n° 64 du 9 octobre 2014

 
Lorsque la fiction se charge d’imposer une nouvelle réalité, pas facile de faire le tri entre un hoax et un fait avéré. Comme l’a remarqué Déborah Malet dans l’article du même numéro du Stylist consacré aux scoops parodiques, « l’idée est tellement géniale que la véracité de l’info en elle-même semble superflue ». Des sites satiriques sont là pour nous piéger de la même façon que L’origine du monde a piégé les modérateurs de Facebook, c’est-à-dire, grâce au réalisme de leur contenu. 

 
Pour ne pas terminer sur ce triste constat, je tiens à rassurer ceux qui se sont inquiétés du sort du bébé malade : aux dernières nouvelles, il va beaucoup mieux !

*Cécile Cloulas, Ces marques qui nous gouvernent..., Ellipses, Paris, 2010, p. 67-70.

 

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