Le dernier numéro du magazine
franco-allemand ParisBerlin (114,
Juillet-Août 2016) consacre un dossier thématique au rire dans tous ses éclats.
« Peut-on rire de tout ? » demande le journaliste Marco Wolter,
en évoquant le poème satirique de l’humoriste Jan Böhmermann sur le président
turc devenu une affaire d’Etat en Allemagne. En montrant les limites réelles de
la liberté d’expression, cet incident diplomatique a remis en question
l’affirmation de l’écrivain Kurt Tucholsky selon laquelle la satire à tous les
droits.
Le magazine s’empare du sujet
pour interviewer Plantu, le légendaire caricaturiste du Monde, sur l’évolution
de l’humour après l’attentat de Charlie Hebdo, mais aussi sur son recueil de
dessins Drôle de peuple (2013), une leçon de « germanitude »
aussi divertissante qu’intelligente. Son confrère allemand Klaus Stuttmann
appartient à la même génération et travaille pour le quotidien berlinois Tagesspiegel,
avec une nette préférence pour les dessins politiques visant la chancelière en
personne, mais aussi ses opposants. Comme son ami Plantu, il fait partie de
l’association « Cartooning for peace » qui défend la liberté d’expression
et condamne la censure.
Impossible de parler de l’humour
allemand sans évoquer Loriot dont les sketchs et les dessins ont traversé les
générations. Quant à ses expressions marquées par l’absurde, elles sont passées
dans le langage courant. Ce n’est pas par hasard qu’à sa mort en 2000, la
chancelière Angela Merkel a salué l’homme qui a permis de mieux cerner
« l’essence des Allemands ».
Une autre institution outre-Rhin,
le magazine satirique Titanic aborde les questions d’actualité, sans reculer
devant la critique des religions. En revanche, les attaques frontales contre le
chef d’Etat en exercice sur une chaine publique seraient impensables en
Allemagne, affirme la journaliste Katja Petrovic. Mais le cabaret politique y a
une longue tradition. L’un des grands succès de cette saison théâtrale
s’intitule Wohin mit der Mutti ?
(Où caser maman ?). C’est l’histoire d’un couple moyen allemand qui devra
héberger incognito la chancelière. Rythmé par des chansons, le spectacle se
joue presque tous les soirs à guichets
fermés dans l’un des plus grands Kabaretts du pays, die Distel (le chardon),
qui reçoit 100 000 spectateurs par
an. Inspiré des cabarets français, comme Chat Noir à Montmartre, le Kabarett a
survécu à la censure nazie et aux contraintes idéologiques de l’Allemagne de
l’Est.
Chaque pays a-t-il son
humour ? Romain Seignovert, auteur du livre Les meilleures blagues de Toto à travers l’Europe (2013), parle de
l’importance de la caricature, du jeu de mots et de la provocation pour la culture
française. Quand à l’humour allemand, il se moque plus des situations que des
personnes et a également une prédilection pour l’absurde. Mais malgré ces
particularités, les deux pays ont en commun l’émergence de la nouvelle
génération des humoristes marquée par la diversité, la liberté de ton et
l’usage des nouvelles technologies. Et si les stars du rire qui émergent sur
Youtube franchissent allègrement toutes les limites, il est logique de se
demander si elles réussiront à sortir aussi du cadre national…
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