samedi 22 novembre 2014

Le Revizor: d’une satire politique au grotesque universel


Une édition russe du Revizor de Nikolaï Gogol


Du 20 au 23 novembre le Studio-Théâtre d’Asnières présente une nouvelle adaptation du Revizor de Nikolaï Gogol, l’un des premiers poètes de la bureaucratie et audacieux prédécesseur de Dostoïevski.

 

Ecrite sur une idée de Pouchkine et traduite par Prosper Mérimée, cette satire populaire fait partie des grands classiques du théâtre russe. Bien que controversée, la pièce, présentée devant le Nicolas 1er en 1836, obtient un grand succès. Face aux détracteurs qui y voient une accusation directe, le Tsar prend sa défense, et remarque, amusé, « tout le monde en a pris pour son grade, moi le premier ! ».

 

Aujourd’hui encore, cette comédie corrosive et jubilatoire demeure étonnamment actuelle dans ses thèmes (la corruption, l’ambition, le contraste de la capitale et de la province). Dans la présente adaptation réduite à six personnages et placée dans un univers intemporel, elle reste riche de sens, cohérente et homogène.

 

Basée sur un quiproquo, l'intrigue du Revizor le rapproche du vaudeville. Les notables d’une bourgade provinciale russe du dix-neuvième siècle se mettent en émoi dans l’attente de l’inspecteur général du Tsar en mission secrète. Pour cause, car dans cette ville où règne une corruption institutionnalisée chacun à des choses à se reprocher et le Gouverneur lui-même est très loin d’un homme d’Etat exemplaire : il néglige son administration, se sert au passage et assomme la ville de taxes absurdes.

 

Prenant par erreur Khlestakof, un jeune voyageur oisif et endetté, pour le redouté fonctionnaire, les notables se prêtent à toutes les bassesses et couvrent le supposé inspecteur d’honneurs et de flatteries dans l’espoir de l’amadouer. D’abord surpris et déconcerté pas un tel accueil, le jeune homme profite sans scrupules de la méprise des fonctionnaires avant d’être démasqué comme imposteur post factum. Mais les autres aussi sont des imposteurs : le Gouverneur qui veut se faire passer pour plus aimable qu’il n’est, Dobtschniski et Bobtschinski pour plus intelligents, Maria pour plus distinguée…

 

Oscillant entre réalisme et fantastique, cette critique sociale dépeint à merveille l’affolement provoqué par l’arrivée du Revizor. Les personnages sont entraînés dans un tourbillon d’humour et d’angoisse jusqu’à l’effroi final. L’auteur brosse les travers profonds de l’être humain, décryptant les tics, les mesquineries, les petites magouilles de ses contemporains.

 

Si les deux premiers actes sont assez sombres, la pièce gagne en légèreté et en humour au cours des trois derniers actes, jusqu’à l’éclatant. Les costumes sont de plus en plus colorés et clinquants, les corps plus droits, la diction plus rapide et légère, le piano donne une musique de plus en plus enlevée. En assistant à une partie serrée, fiévreuse et dynamique, le spectateur découvre une galerie des monstres sympathiques, très malins et calculateurs. Mais les rêves de ces personnages trahissent leur mal-être et sont empreints de tous leurs espoirs.

 

La finale avec le célèbre monologue du Gouverneur transcende le cadre de la farce pour s’élever vers un constat quasi métaphysique :

 

Le Gouverneur à lui-même :

- Je serai la fable, la risée générale. Et le pire, c’est que quelque barbouilleur de papier, quelque fainéant d’homme de lettres se mettra dans la tête d’en faire une comédie. Ah ! Voilà le plus terrible… Il ne ménagera ni mon grade, ni mon emploi, et trouvera des imbéciles qui braieront et applaudiront. Mais de quoi riez-vous ? C’est de vous-même. (Avec humeur) Ah ! Si je tenais tous ces barbouilleurs de papier ! Ces écrivassiers ! Ces maudits libertins ! Cette engeance du diable ! Tous dans le même sac je les mettrais, et je les réduirais en poussière… (Silence) Je n’en reviens pas encore ! C’est sûr, quand Dieu veut nous punir, il commence par nous rendre fous. Mais cet écervelé, en quoi ressemblait-il à un inspecteur ? En rien, en rien du tout. Comme à un moulin à vent. Et les voilà tous à dire : Un inspecteur ! Un revizor ! Qui a dit le premier que c’était un Revizor ? Répondez.

- Je veux être pendu si je sais comment cela est arrivé. Nous avons eu la berlue, c’est le diable qui nous a joués.

 

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