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Une édition russe du Revizor de Nikolaï Gogol |
Du 20 au 23 novembre le Studio-Théâtre
d’Asnières présente une nouvelle adaptation du
Revizor de Nikolaï Gogol, l’un des premiers poètes de la
bureaucratie et audacieux prédécesseur de Dostoïevski.
Ecrite sur une idée de Pouchkine
et traduite par Prosper Mérimée, cette satire populaire fait partie des grands
classiques du théâtre russe. Bien que controversée, la pièce, présentée devant
le Nicolas 1er en 1836, obtient un grand succès. Face aux détracteurs qui y
voient une accusation directe, le Tsar prend sa défense, et remarque, amusé, «
tout le monde en a pris pour son grade, moi le premier ! ».
Aujourd’hui encore, cette comédie
corrosive et jubilatoire demeure étonnamment actuelle dans ses thèmes (la
corruption, l’ambition, le contraste de la capitale et de la province). Dans
la présente adaptation réduite à six personnages et placée dans un univers intemporel,
elle reste riche de sens, cohérente et homogène.
Basée sur un quiproquo, l'intrigue
du Revizor le rapproche du
vaudeville. Les notables d’une bourgade provinciale russe du dix-neuvième
siècle se mettent en émoi dans l’attente de l’inspecteur général du Tsar en
mission secrète. Pour cause, car dans cette ville où règne une corruption institutionnalisée
chacun à des choses à se reprocher et le Gouverneur lui-même est très loin d’un
homme d’Etat exemplaire : il néglige son administration, se sert au
passage et assomme la ville de taxes absurdes.
Prenant par erreur Khlestakof, un
jeune voyageur oisif et endetté, pour le redouté fonctionnaire, les notables se
prêtent à toutes les bassesses et couvrent le supposé inspecteur d’honneurs et
de flatteries dans l’espoir de l’amadouer. D’abord surpris et déconcerté pas un
tel accueil, le jeune homme profite sans scrupules de la méprise des fonctionnaires
avant d’être démasqué comme imposteur post factum. Mais les autres aussi sont
des imposteurs : le Gouverneur qui veut se faire passer pour plus aimable qu’il
n’est, Dobtschniski et Bobtschinski pour plus intelligents, Maria pour plus
distinguée…
Oscillant entre réalisme et
fantastique, cette critique sociale dépeint à merveille l’affolement provoqué
par l’arrivée du Revizor. Les personnages sont entraînés dans un tourbillon
d’humour et d’angoisse jusqu’à l’effroi final. L’auteur brosse les travers
profonds de l’être humain, décryptant les tics, les mesquineries, les petites
magouilles de ses contemporains.
Si les deux premiers actes sont
assez sombres, la pièce gagne en légèreté et en humour au cours des trois
derniers actes, jusqu’à l’éclatant. Les costumes sont de plus en plus colorés
et clinquants, les corps plus droits, la diction plus rapide et légère, le
piano donne une musique de plus en plus enlevée. En assistant à une partie
serrée, fiévreuse et dynamique, le spectateur découvre une galerie des monstres
sympathiques, très malins et calculateurs. Mais les rêves de ces personnages
trahissent leur mal-être et sont empreints de tous leurs espoirs.
La finale avec le célèbre
monologue du Gouverneur transcende le cadre de la farce pour s’élever vers un constat
quasi métaphysique :
Le Gouverneur à lui-même :
- Je serai la fable, la risée générale. Et le pire, c’est que quelque
barbouilleur de papier, quelque fainéant d’homme de lettres se mettra dans la
tête d’en faire une comédie. Ah ! Voilà le plus terrible… Il ne ménagera ni mon
grade, ni mon emploi, et trouvera des imbéciles qui braieront et applaudiront.
Mais de quoi riez-vous ? C’est de vous-même. (Avec humeur) Ah ! Si je tenais
tous ces barbouilleurs de papier ! Ces écrivassiers ! Ces maudits libertins !
Cette engeance du diable ! Tous dans le même sac je les mettrais, et je les
réduirais en poussière… (Silence) Je n’en reviens pas encore ! C’est sûr, quand
Dieu veut nous punir, il commence par nous rendre fous. Mais cet écervelé, en
quoi ressemblait-il à un inspecteur ? En rien, en rien du tout. Comme à un
moulin à vent. Et les voilà tous à dire : Un inspecteur ! Un revizor ! Qui a
dit le premier que c’était un Revizor ? Répondez.
- Je veux être pendu si je sais comment cela est arrivé. Nous avons eu
la berlue, c’est le diable qui nous a joués.