![]() |
Isla Fisher dans le rôle de Becky Bloomwood (Confessions d'une accro du shopping, 2009) |
Produit et symptôme de l’époque placé au carrefour de plusieurs sciences, la publicité entretient avec la culture une relation d'influence réciproque. C'est un instrument commercial et une institution sociale du fait qu'elle est une articulation entre les objectifs du système de production et les désirs du consommateur. Support de tous les moyens de communication et soutenue par eux, la publicité nous envahit quotidiennement par des milliers de stimulations : elle s’exprime comme le désir par des images et par du langage.
Bien souvent, la mise en scène de
la convoitise dans les images et les spots publicitaires est marquée par un
déchirement schizophrénique entre la stigmatisation judéo-chrétienne et la
reconnaissance freudienne, entre la satisfaction d’une envie et le pardon de la
culpabilité de l'avoir satisfaite.
La fétichisation des objets et l’importance
dont ils sont investis dans la société de consommation impliquent un renversement
du système des valeurs traditionnelles. Plaçant les biens matériels au centre
des préoccupations, les pubs rivalisent dans la présentation des personnages
prêts à tout pour ne pas « rater leur vie » et rejoindre les rangs
des heureux propriétaires, y compris le vol, le mensonge, la trahison et les
incivilités de toute sorte. C'est un monde à l'envers où le principe de réalité semble évincé par le principe de plaisir.* Le paradigme sémantique véhiculé par ce matraquage
publicitaire se lit dans le lexique utilisé pour la description d’un désir
immodéré : on y trouve « tentation », « résistance »,
« succomber »,
« péché » (mignon) et les différents vocables censés donner
une idée de la volupté vécue dans le feu de cette passion destructrice.
D’une part, le surinvestissement
du plaisir (sensuel, statutaire ou du plaisir de posséder), d’autre part, l’accentuation
de la force d'un désir impulsif et incontrôlable apparaissent comme des moyens
de donner envie dans un monde saturé de services et de marchandises.
Fait significatif, dans les
médias la fièvre acheteuse est avant tout déclinée au féminin et associée à une
sorte d’hystérie, cette pathologie que les Grecs anciens liaient à une maladie
de l’utérus. D’où la figure d’une acheteuse compulsive popularisée ses dernières
années sous l’avatar d’une « accro du shopping » : une créature
écervelée, égoïste et capricieuse qui fait passer son narcissisme pour de l’autodérision.
La situation est sans issue, vu que chaque pierre jetée à cette consœur faible
et obsédée vous fait taxer d’hypocrisie.
Ce sont d’autant plus de raisons
de s’arrêter sur cette brève de Gorafi au titre racoleur : Elle vend son
bébé malade pour acheter un iPhone 6.
Elle aurait pu nous échapper si elle n’avait pas été reprise en
couverture du magazine Stylist, n° 64 du 9 octobre 2014. Cela dit, ce précieux « témoignage »
qui semble sorti tout droit d’une page de pub méritait largement d’être sauvée
de l’oubli :
« Quand j’ai vu la queue devant l’Apple Store, je me suis
dit : c’est une révolution. Il faut que je l’aie », a déclaré la
jeune mère de famille pour expliquer la vente, mardi, d’Oscar, son fils de 3
mois, sur Internet. « Je n’en pouvais plus de mon flip phone, j’ai dû
trouver une solution ». Malheureusement, Oscar étant atteint de psoriasis,
elle n’a pu en tirer le prix escompté et a dû se résoudre à acheter un Galaxy
[…].
![]() |
Stylist, n° 64 du 9 octobre 2014 |
Lorsque la fiction se charge d’imposer
une nouvelle réalité, pas facile de faire le tri entre un hoax et un fait
avéré. Comme l’a remarqué Déborah Malet dans l’article du même numéro du
Stylist consacré aux scoops parodiques, « l’idée est tellement géniale que
la véracité de l’info en elle-même semble superflue ». Des sites
satiriques sont là pour nous piéger de la même façon que L’origine du monde a
piégé les modérateurs de Facebook, c’est-à-dire, grâce au réalisme de leur
contenu.
*Cécile Cloulas, Ces marques qui nous gouvernent..., Ellipses, Paris, 2010, p. 67-70.