dimanche 8 février 2015

Peut-on "caricaturer l'Holocauste"?

Depuis l’attentat contre Charlie Hebdo, le monde entier vit une vraie renaissance de la caricature dans la presse et sur les réseaux sociaux. De nombreux sites proposent, pour quelques dizaines d’euros, de faire votre caricature à partir d’une photo. Et même la Maison de la caricature de Téhéran essaie de surfer sur la vague en annonçant une nouvelle édition du concours de la caricature sur l’Holocauste (sic).

Selon The Independent, le vainqueur de ce concours recevra la somme de 12.000 dollars (près de 11.000 euros), le deuxième 8000 dollars et le troisième 5000 dollars. Les œuvres doivent ensuite être exposées au Musée d'art contemporain de la Palestine, ainsi que dans différents lieux de la capitale iranienne.

La première édition a été lancée en 2006 par le journal iranien Hamshahri, comme une riposte à la publication par le journal danois Jyllands-Posten (puis, notamment, par Charlie Hebdo) de caricatures représentant Mahomet.

Espérons que le temps qui sépare le bon grain de l’ivraie n’en retiendra que la noble intention de se battre à armes égales et l’hommage rendu à l’efficacité du crayon. Rappelons que l’histoire a déjà connu un certain nombre de caricatures réactionnaires ou antisémites mais ce n’est pas celles qui ont survécu.

Si on décide de limiter cette étude à des réflexions d’ordre esthétique, la question qui se pose n’est pas « Peut-on rire de tout ? » mais plutôt « Le support est-il approprié ? » En l’occurrence, le choix de l’Holocauste en tant que figure imposée rompt nettement avec les lois du genre et risque de condamner à l’échec cette grande campagne vindicative.

1. Art du moment et du mouvement, la caricature vit dans l’instantané et doit beaucoup à l’improvisation. Rapide et spontanée, elle garde sa virulence tant qu’elle reste le reflet du monde actuel et pas d’un passé plus ou moins lointain.


Honoré Daumier d'après Charles Philippon: Les poires


2. Art de l’excès et de l’outrance, la caricature cultive la déformation et la disproportion  s’attaquant à l’homme et à son image. Fidèle à une vieille tradition satirique, elle utilise une vaste panoplie de procédés : animalisation / végétalisation, mutilation, diabolisation, infantilisation, mécanisation, comparaison dévalorisante, recours à la scatologie ou la pornographie etc. C’est ainsi que le porc est choisi pour figurer Louis XVI ou Napoléon et la poire pour représenter le visage de Louis Philippe. Comme Baudelaire le démontre dans son essai consacré à Daumier, la caricature a un rapport direct avec la notion du monstrueux. Or la barbarie de la Shoah va elle-même si loin dans l’horreur, la déshumanisation, le mépris de l’autre que toute sorte d’hyperbole ou autre exagération semble superflue dans sa représentation.  

3. Art contestataire, transgressif, souvent subversif, la caricature s’est toujours attaquée au pouvoir politique ou religieux, ses représentants, ses symboles et le discours dominant en général. Elle met en avant un élément carnavalesque (dans le sens de M. Bakhtine), en dépouillant du pouvoir ceux qui en sont investis et en renversant, de façon symbolique, toutes les hiérarchies instituées, entre le noble et le trivial, le haut et le bas, le raffiné et le grossier, le sacré et le profane. Lorsqu’elle s’en prend aux victimes plutôt qu’aux bourreaux, il lui est difficile de garder cet esprit subversif qui a toujours fait sa force.

A cœur vaillant rien d’impossible (à condition, toutefois, d’avoir un minimum de talent). Attendons de voir si les œuvres des gagnants seront à la hauteur des nombreuses contraintes du genre et surtout s’ils trouveront l’adhésion auprès du public international. Car désormais c’est ce dernier critère qui sera décisif même pour les grands favoris du jury… 



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