lundi 16 février 2015

Adopte un monstre.com

« Tu m’as menti, la Bête, tu n’es pas un monstre » (Claude Cahun)



Nous avons déjà rencontré un certain nombre de monstres gentils, parfois même domesticables ou éducables : les Pokémon, les Monster High, Monstres et Cie, Monstres Academy… Nous avons suivi les aventures palpitantes d’un vampire végétarien dans Twilight et celles d’un goujat drôlissime dans Mon incroyable fiancé. Mais aucun d’entre eux n’a fait autant de concessions à la normalité que Christian Grey, 27 ans, milliardaire célibataire et mégalomane. Mieux encore, aucun auteur, après Victor Hugo et avant E.L. James, n’est allé aussi loin dans la tentative d’humaniser le monstre, en lui concédant une âme.

Le monstrueux est ce chaos dont les humains sont sortis et qui subsistera toujours un peu en eux. Selon le terme Rudolf Otto, il fait partie de l’énorme, c’est-à-dire à la fois maléfique et imposant, puissant et étrange, surprenant et admirable, donnant le frisson et fascinant.

Dans les mythes, le monstre est souvent associé à la figure du Chaos et - dans le christianisme médiéval - du Mal, prenant des formes très diverses, tantôt brutales et bestiales, tantôt sauvages et démoniaques. Figure inversée du héros, il symbolise certains éléments négatifs que le fondateur mythique doit expulser du monde pour rétablir ou épurer le « cosmos », univers ordonné dans la civilisation gréco-latine. Etranger habitant un territoire inconnu, il représente cette force débordante et désordonnée (gigantisme, confusion sexuelle, non respect des lois de la société) que l’homme grec comme occidental veut contrôler ou exclure, ostraciser ou encadrer. 

Les histoires des monstres reprennent souvent la figure de la Demoiselle en détresse qui implique l’interaction de trois personnages : une jeune fille ingénue en situation précaire, le monstre (sorcier, démon, dragon, vampire, loup-garou, bad boy) et le sauveur (Persée, Saint-Georges…) En général, le sauveur est plus gentil que le monstre (sauf chez Sade et Jules Laforgue). Mais parfois les deux fusionnent en un seul personnage du prince ensorcelé comme dans la La Belle et la Bête et ses versions modernes. C’est ainsi qu’on obtient une vision édulcorée d’un monstre gentleman, certes ténébreux mais tellement civilisé, légèrement pervers mais extrêmement attirant… et surtout, très enclin à l’apprivoisement.

Cinquante nuances de Grey restitue assez fidèlement le schéma du roman de Samuel Richardson Pamela, ou la vertu récompensée (1740), transposé sur le terrain de roman érotique par le biais d’un fantasme féminin. Trop classe, le monstre d’aujourd’hui a un faible pour les cravates grises et les moyens de locomotion sophistiqués. Mais il soutient aussi plusieurs organismes caritatifs (qui a dit qu’il n’avait pas de cœur ?) Et pourtant, M. Grey se sent seul et incompris car il est très spécial dans ses goûts. Bien qu’interdit aux moins de douze ans, il ne fait pas peur - mais surprend et impressionne les étudiantes vierges en littérature anglaise. Il n’est pas méchant, juste un peu psychopathe sur les bords. Normal, il a eu une enfance difficile. Et puis, en vrai businessman, il a ce besoin obsessionnel de chiffrer ses actifs. Il a donc « 50 nuances de folie » toutes listées dans un contrat qu’il a déjà fait signer à 15 filles (c’est vrai, il a un petit côté Barbe Bleue). Il a aussi une salle de jeu, grande chambre rouge remplie de menottes et de cravaches où il se montre très pédagogue lorsque sa promise (pardon, sa soumise) bloque sur certains détails. Mais il sait aussi être tendre et attentionné, jouer du Massenet au piano ou danser en descendant du lit. Il est capable de venir vous chercher en hélicoptère (option : vous offrir une voiture), lorsque vous vous éloignez trop de son quartier d’affaires. Enfin, un petit bonus, il accepte même de sortir une fois par semaine comme un « couple ordinaire » (ciné, resto, patinoire…)  Certes, il n’est pas vraiment drôle, mais il se débrouille toujours pour vous procurer votre dose de situations comiques. Décidément il est trop chou ce garçon, même quand il fronce les sourcils.

Son profil vous intéresse? Vous voulez devenir la seizième? « Welcome to my world, Anastasia…”


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