dimanche 28 mai 2017

Les repoussoirs: le bas-bleu




Le mot a été traduit de l'anglais blue stocking et désignait au départ les habitués d'un salon littéraire présidé par une femme, Elizabeth Montagu (1720-1800). Elle réunissait chez elle, une fois par semaine, des amies qui partageaient ses goûts littéraires. Les hommes étaient admis à leurs réunions, et parmi eux, paraît-il, un certain Benjamin Stillingfleet, qui se présenta un jour en bas bleus après que son hôtesse lui eut assuré que son salon était ouvert aux gens d'esprit, et non aux élégants. Le petit club s'appela par plaisanterie « le cercle des bas bleus », sans connotation vraiment péjorative. Cependant l'habitude prise dans ces salons de s'ouvrir au mérite sans distinction d'origine sociale souleva des critiques. En France le terme connut le même sort que celui de précieuse au XVIIe siècle. Il fut adopté par les conservateurs et les réactionnaires pour stigmatiser des femmes comme Sophie Gay, George Sand, Delphine de Girardin, et en général toutes les femmes qui affichaient des prétentions littéraires ou intellectuelles. Gustave Flaubert y consacre une définition ironique dans son Dictionnaire des idées reçues : « Bas-bleu : Terme de mépris pour désigner toute femme qui s'intéresse aux choses intellectuelles. Citer Molière à l'appui : “Quand la capacité de son esprit se hausse” etc. » Dans le chapitre V des Œuvres et les hommes au XIXe siècle (1878), intitulé Les Bas-bleus, Barbey d'Aurevilly écrit : « […] les femmes qui écrivent ne sont plus des femmes. Ce sont des hommes, — du moins de prétention, — et manqués ! Ce sont des Bas-bleus. »

En effet, parmi les reproches adressés le plus souvent aux bas-bleus sont à citer la virilité et les prétentions intellectuelles, mais aussi l’incapacité à aimer perçue comme une mutilation infligée par cette créature à sa propre âme. Sous la plume de ses détracteurs les plus acharnés, le bas-bleu se transforme en vieille fille aigrie et solitaire. C’est sous cet aspect-là que Jules Janin épingle dans son essai Le Bas-bleu (1842) une femme vouant sa vie à l’écriture :

« Regardez-la venir, tenant sous le bras son cabas domestique, ou plutôt sa hotte littéraire ; sur le visage de cette femme rien n’est resté, ni la beauté, ni la jeunesse, ni la gloire, ni le succès, ni rien de ce qui console d’être une vieille femme pauvre et seule, abandonnée à tous les caprices et à tous les vents ; non certes, l’amour n’a pas passé par là. L’amour a eu peur de ces lèvres pincées qui vomissent incessamment les rimes des deux sexes ; l’amour a reculé devant ces affreux doigts tachés d’encre ; l’amour n’a pas voulu de cette femme qui ne songe qu’à vendre à la page et au volume le peu de bon sens que contient son cerveau, le peu d’honnêtes passions que renferme son cœur. »

Une description très imagée qui se passe de commentaires…


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