Cyril Arnstam |
Cyril Arnstam (Кирилл Арнштам),
qui a fêté ses 96 ans le 9 janvier dernier, fait partie d’une dynastie
d’artistes. C’est son père, le décorateur Alexandre Arnstam, qui lui a montré
la voie. Allemand par ses origines, Russe par la culture de ses parents, Français
d’adoption, Cyril a grandi au creuset des pays, des langues, des mentalités. Né
à Petrograd en 1919, il quitte la Russie avec ses parents à
l’âge de 3 ans. La famille s'installe à Berlin. À l'âge de 6 ans, le jeune
surdoué est déjà reconnu pour ses dons de dessinateur, et plusieurs journaux
consacrent des articles à son talent précoce. Ayant fui Berlin après 1933,
Cyril suit, à Paris, les cours de l'École nationale supérieure des arts
appliqués. Son frère, Igor Arnstam, a dessiné six affiches pour le cinéma, dont
deux pour Le Quai des brumes (1938). C'est ainsi que Cyril Arnstam
débute dans l'affiche de cinéma, avant de créer son œuvre la plus connue, les
affiches de Katia, de Maurice
Tourneur (1938), qui ont fait connaître le visage de Danielle Darrieux.
Engagé dans la Résistance pendant
la Seconde Guerre mondiale, après l’arrestation de sa mère de confession juive,
il cesse toute activité dans le monde du cinéma. Il reprend son activité
d'affichiste en dessinant notamment des affiches de films de Riccardo Freda,
dont La Fille des marais/Cielo sulla
palude en 1949, mais aussi de films français comme Olivia de
Jacqueline Audry (1950). Il sera contraint de refaire la maquette de cette
affiche pour ne pas choquer la censure. Cyril Arnstam travaille aussi pour la Columbia avec Sur
les quais/On the Waterfront d'Elia Kazan, en 1954. Après une longue
parenthèse, il réalise à nouveau des affiches de cinéma au début des années
1980 : Daniel (Sidney
Lumet, 1983), Eaux profondes (Michel
Deville, 1981), Un juge en danger/Io
ho paura (Damiano Damiani, 1977).
Dans les années 1970, Arnstam
délaisse les affiches de cinéma et fait surtout de l'illustration pour des
couvertures de livres de Tolstoï, Zola, Dumas père, Maupassant, Troyat. Il
travaille aussi pour la revue Playboy,
le mensuel Marie-Claire, le
magazine Le Monde de la musique et
pour Paris Match. Pour l'agence
publicitaire de Jacques Séguéla, il réalise plusieurs story-boards de films
publicitaires (Lanvin, Crédit Agricole, Armani...)
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Cyril Arnstam, Adolf au salon |
A travers ses illustrations,
décorations, affiches cinématographiques et publicitaires, Cyril Arnstam a
toujours su garder un style unique, facilement reconnaissable malgré son
évolution au fil des époques. Ses œuvres les plus connues sont marquées par
l’expressionnisme passé à travers le filtre de la décorativité pop et de
l’ironie postmoderne. D’après l’historien d’art Mikhaïl Guerman, il arrive à
trouver un analogue visuel exact d’une idée, d’une citation, d’une comparaison,
en associant la réalité, le grotesque et la fantaisie.
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Cyril Arnstam, Staline |
Interrogé par le musicien et
poète Anatoli Vainshtein pour la dernière édition de l’almanach Glagol, Cyril
Arnstam reconnait l’influence de plusieurs artistes remarquables. Il évoque
Munch, Picasso, Matisse, Soutine, Kandinsky, tout en se distanciant du
modernisme. Il ne sait pas dire si les gens en uniforme nazi sur ses tableaux
symbolisent l’élégance de l’horreur et de la cruauté. Et il a du mal à décrire
son œuvre sous la lumière des éternelles interrogations morales dont les Russes
sont si friands depuis Mozart et Salieri
de Pouchkine. Un génie est-il toujours porteur du bien ? Le mal peut-il
s’exprimer de façon géniale ? Cyril Arnstam avoue qu’en réalisant les
portraits d’Hitler, de Staline et de Mao, il voyait en eux non des monstres ou
des créatures démoniaques, mais « des gens ordinaires » tout au plus
atteints d’une folie et par conséquent dangereux. D’autre part, le caractère
grotesque de ces portraits s’explique par le fait qu’il s’agissait de commandes
de Playboy. Les trois leaders
politiques sont représentés dans l’entourage féminin, ce qui les rend
inoffensifs. Anatoli Vainshtein y voit même le paradoxe de la
« domestication » et de la banalisation de ces personnages par la
magie de l’érotique qui apparait comme une force plus puissante que la
violence. Sans rejeter des telles interprétations, Cyril Arnstam se dit plus
intéressé par la physionomie des personnages : ses tableaux seraient
étrangers à toute satire, critique sociale ou analyse psychologique, même si
une telle approche est difficilement acceptable pour les Russes (le portrait
d’Hitler à été refusé par le commissaire de son exposition à
Saint-Pétersbourg). Quant au Playboy,
il a été considéré en Russie soviétique comme une incarnation de la décadence
bourgeoise, synonyme du trash et du mauvais goût. Mais pour celui qui n’a pas
hésité à représenter Napoléon avec une tête de veau et Sartre sous forme de
cocktail Molotov, la force de ce magazine est dans son style et son niveau
intellectuel, son intérêt pour les thèmes politiques, historiques et culturels.
D’où l’apparition de Mao lesbien
(pastiche d’une toile de l’école de Fontainebleau), Georges Marchais et les Rolling Stones, Chirac dans une poire et d’autres images apparentées à l'univers
pop des années 1960 et 1970 qui ont beaucoup contribué à la popularité du
magazine.
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Gabrielle d’Estrées et la duchesse de Villars
Musée du Louvre, Paris.Ecole de Fontainebleau (1592) |
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Cyril Arnstam, Mao lesbien |
Pour Cyril Arnstam, c’est le
talent et l’amour du métier qui sont à l’origine de cette approche artistique
permettant de séparer l’érotique de la pornographie et la valeur commerciale de
la vénalité. Il garde cette idée – finalement très russe – d’une beauté qui
peut surgir n’importe où et à tout moment, se révélant à travers les pages d’un
magazine de charme, d’un passage de Lolita, d’une ancienne gravure ou d’une illustration du roman
de Tolstoï.
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