"Comète sans loi parmi les
astres réguliers" (A. Pouchkine), la provocation se nourrit de
l’arbitraire. La preuve dans l’article “Bible” du Portatif de la provocation de François Boddaert et Olivier Apert
(PUV, 2000). “Livre radical …, machine de guerre et de poésie qui, par un
savant arbitraire, réunit en un seul volume L’Ancien Testament, racontant
prodiges et avatars du peuple hébreu, et le Nouveau Testament, qui n’a de
cesse, par les enjeux des traductions successives de l’ancien, que de se
légitimer en récupérant une filiation” (p. 26).
Est arbitraire ce qui dépend
uniquement d'une décision individuelle et peut être contraire à l'intérêt
commun. De façon générale, il qualifie ce qui ne repose pas sur la raison, sur
une nécessité logique et par conséquent résulte de la seule volonté. Dénué de
rigueur rationnelle, l'arbitraire est l'application de la subjectivité d'une
personne détenant du pouvoir. Marqué par la fantaisie, le caprice et l’absence
de logique, il n’est pas à l’abri des liaisons dangereuses avec l'absolutisme,
l'injustice ou la tyrannie. En contrepartie, il signifie aussi le triomphe
du libre arbitre.
Le Portatif de la provocation de Villon à Verdun en 333 entrées est
lui-même une provocation. De façon totalement arbitraire, ses deux auteurs
“suivant leur instinct” ont choisi d’arrêter leur ouvrage en 1917 (“avec Verdun
et Dada comme acmé de toute Provocation”, p. 7). Et tant pis pour les personnes
qui survivent à cette année: leur parcours ultérieur n’a aucune importance aux
yeux des auteurs qui ne mentionnent que leur date de naissance. Curieusement,
ce procédé n’est pas sans rappeler les interrogatoires rituels des troïkas
révolutionnaires (« Qu’avez-vous fait avant 1917?! »)
Un autre choix tout aussi
arbitraire des auteurs était de limiter la provocation au sol français: exit
Lord Byron, Heinrich Heine, Oscar Wilde, Tolstoï et Dostoïevski. Cette
restriction n’est pas commentée dans l’ouvrage, de même que le choix de
plafonner le nombre d’entrées à 333. L’arbitraire s’étend
encore sur la longueur des articles (très hétérogène), le traitement
complaisant ou expéditif des sujets ou la préférence donnée aux anecdotes et
aux citations aux dépens des analyses. De façon générale, les auteurs ont
choisi une approche sélective et élective (dans le sens d’un choix fondé sur
une affinité naturelle inconsciente), mais aussi élitiste grâce à un certain
hermétisme associé aux lourdeurs du style et un langage savamment abscons.
En même temps, le livre se veut
un portatif et revendique la parenté avec le Dictionnaire philosophique portatif de Voltaire agacé par la grosse
machine encyclopédique des Lumières. Cette dénomination souligne le côté
pratique (un ouvrage transportable, commode et facile à manier) mais a aussi
une connotation désuète (une machine à
écrire portative face à l’omniprésent portable). Et c’est peut-être là qu’on
trouve la plus grande particularité de ce vade
mecum signé par deux poètes érudits: à mille lieux des ouvrages grand
public, voici un parfait livre „snob“, en accord avec la définition de Robert
de Montesquiou ouvrant l’article “Snobisme”: “Le fait et le gout de se sentir
amplifié par des accointances supérieures” (p. 219). Autrement dit, la
noblesse.
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