mardi 13 janvier 2015

L’arbitraire, arme portative des snobs

"Comète sans loi parmi les astres réguliers" (A. Pouchkine), la provocation se nourrit de l’arbitraire. La preuve dans l’article “Bible” du Portatif de la provocation de François Boddaert et Olivier Apert (PUV, 2000). “Livre radical …, machine de guerre et de poésie qui, par un savant arbitraire, réunit en un seul volume L’Ancien Testament, racontant prodiges et avatars du peuple hébreu, et le Nouveau Testament, qui n’a de cesse, par les enjeux des traductions successives de l’ancien, que de se légitimer en récupérant une filiation” (p. 26).

Est arbitraire ce qui dépend uniquement d'une décision individuelle et peut être contraire à l'intérêt commun. De façon générale, il qualifie ce qui ne repose pas sur la raison, sur une nécessité logique et par conséquent résulte de la seule volonté. Dénué de rigueur rationnelle, l'arbitraire est l'application de la subjectivité d'une personne détenant du pouvoir. Marqué par la fantaisie, le caprice et l’absence de logique, il n’est pas à l’abri des liaisons dangereuses avec l'absolutisme, l'injustice ou la tyrannie. En contrepartie, il signifie aussi le triomphe du libre arbitre.

Le Portatif de la provocation de Villon à Verdun en 333 entrées est lui-même une provocation. De façon totalement arbitraire, ses deux auteurs “suivant leur instinct” ont choisi d’arrêter leur ouvrage en 1917 (“avec Verdun et Dada comme acmé de toute Provocation”, p. 7). Et tant pis pour les personnes qui survivent à cette année: leur parcours ultérieur n’a aucune importance aux yeux des auteurs qui ne mentionnent que leur date de naissance. Curieusement, ce procédé n’est pas sans rappeler les interrogatoires rituels des troïkas révolutionnaires (« Qu’avez-vous fait avant 1917?! »)

Un autre choix tout aussi arbitraire des auteurs était de limiter la provocation au sol français: exit Lord Byron, Heinrich Heine, Oscar Wilde, Tolstoï et Dostoïevski. Cette restriction n’est pas commentée dans l’ouvrage, de même que le choix de plafonner le nombre d’entrées à 333. L’arbitraire s’étend encore sur la longueur des articles (très hétérogène), le traitement complaisant ou expéditif des sujets ou la préférence donnée aux anecdotes et aux citations aux dépens des analyses. De façon générale, les auteurs ont choisi une approche sélective et élective (dans le sens d’un choix fondé sur une affinité naturelle inconsciente), mais aussi élitiste grâce à un certain hermétisme associé aux lourdeurs du style et un langage savamment abscons.


En même temps, le livre se veut un portatif et revendique la parenté avec le Dictionnaire philosophique portatif de Voltaire agacé par la grosse machine encyclopédique des Lumières. Cette dénomination souligne le côté pratique (un ouvrage transportable, commode et facile à manier) mais a aussi une connotation désuète  (une machine à écrire portative face à l’omniprésent portable). Et c’est peut-être là qu’on trouve la plus grande particularité de ce vade mecum signé par deux poètes érudits: à mille lieux des ouvrages grand public, voici un parfait livre „snob“, en accord avec la définition de Robert de Montesquiou ouvrant l’article “Snobisme”: “Le fait et le gout de se sentir amplifié par des accointances supérieures” (p. 219). Autrement dit, la noblesse.


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