vendredi 25 septembre 2015

Lolita a 60 ans !



 
La Société Française Vladimir Nabokov "Les Chercheurs Enchantés" commémore cette année les soixante ans de la publication de Lolita, qui parut en septembre 1955 à Paris chez Olympia Press, maison d'édition de Maurice Girodias. L’événement a débuté hier soir à la Bibliothèque Américaine Paris par le vernissage de l’exposition consacrée à la publication du plus célèbre roman de Nabokov, suivi d’une conférence en langue anglaise donnée par Maurice Couturier. Il se poursuit aujourd’hui avec une journée d’études qui rassemble des spécialistes de Nabokov et des écrivains contemporains. Organisée à l'Université Paris-Ouest Nanterre, elle sera suivie d'une représentation théâtrale de la Compagnie Teatro di Ateneo (Salento, Italie), qui dans sa création intitulée H.H. La confession d'un veuf de race blanche, propose une mise en scène du procès de Humbert Humbert. Cette pièce originale sera jouée en italien et surtitrée en français, au Théâtre Bernard-Marie Koltès (campus de l'Université Paris-Ouest Nanterre).

 


 

 


Dans sa conférence intitulée Nabokov and Paris: A Love-Hate Relationship Maurice Couturier, le traducteur français de Nabokov et l’un des plus grands connaisseurs de son œuvre s’est intéressé à la relation « Je t’aime moi non plus » liant l’auteur de Lolita à la ville de Paris. Dans les années 1930, l’écrivain peine à trouver sa place dans la capitale française entre ses confrères émigrés russes et le monde des lettres françaises qu’il essaie de conquérir. Fasciné par les couchers de soleil vus à travers l’Arc de Triomphe, mais incapable de travailler, absorbé par sa romance avec la poétesse Irina Guadanini et démarchant en vain les éditeurs de la rive gauche, ce Nabokov est bien différent de l’auteur à succès célébré par Gallimard en 1959, mais aussi du personnage excentrique et haut en couleur reçu par Bernard Pivot dans ses Apostrophes en 1975.

 

 
Même si Nabokov avait déjà publié plusieurs romans en langue russe et anglaise avant Lolita, c’est ce dernier livre qui a changé son destin littéraire. Refusé par six éditeurs américains qui craignaient des poursuites judiciaires ou morales, l’histoire de Humbert Humbert est publiée par Olympia Press, à Paris, en 1955. Malgré un catalogue prestigieux (Jean Genet, Samuel Beckett, etc.), la maison d'édition fondée par Maurice Girodias est spécialisée dans l'édition d'œuvres sulfureuses. Ce n’est que trois ans plus tard que le livre sort aux États-Unis, chez Putnam. Il connaît un grand succès, restant pendant 180 jours en tête des meilleures ventes du pays. Lolita est même le second roman, après le best-seller Autant en emporte le vent de Margaret Mitchell (1936), à atteindre le seuil des 100 000 exemplaires vendus en trois semaines. Depuis, Lolita s'est vendu à plus de 15 millions d'exemplaires dans le monde

 

 


 
 
 

Le rôle joué par la censure dans l’affaire Lolita a fait l’objet de la présentation de Julie Loison-Charles de Université Lille 3. Censurée pour des raisons politiques dans son pays natal, l’œuvre de Nabokov l’était aussi à l’Occident, mais plutôt pour des raisons morales. Au début, Nabokov souhaitait même publier son roman sous un pseudonyme craignant pour sa réputation d’enseignant dans une université américaine. Heureusement, il a été soutenu par des confrères de renom comme Graham Greene qui s’est déclaré prêt à aller en prison pour faire publier son livre. La chercheuse a rappelé que Lolita avait été interdit dans plusieurs pays du monde, souvent sous prétexte de protection de la jeunesse (même si le livre n'a jamais été destiné au jeune public), et ce “lolitige”  connaît de nouveaux rebondissements 60 ans plus tard. Devenue un classique de la littérature du XXe siècle, le roman reste néanmoins très controversé dans la Russie d’aujourd’hui où l’Eglise orthodoxe demande son interdiction pour la propagation de la pédophilie.


 

Agnès Edel-Roy, présidente des « Chercheurs enchantés », a relaté l’histoire de la publication française de Lolita (1956-1959) d’après les documents conservés dans les archives des Editions Gallimard. La correspondance de Nabokov avec son éditeur et son premier traducteur Eric Kahane, le frère de Maurice Girodias,  fournit des informations précieuses sur les coulisses de cette édition ainsi que sur la fameuse intransigeance de Nabokov en matière de traduction. De son côté, Nicolas Guerrero, avocat au barreau de Paris, a exploré l’aspect judiciaire de l’univers du roman. Son auteur fait du lecteur une dernière instance, le juge et le juré. Le roman pose des questions sur la responsabilité légale et morale de son héros, mais aussi sur une éventuelle complicité du lecteur.  
 
D’autres interventions ont été consacrées à l’héritage de la nymphette nabokovienne dans la littérature contemporaine et aux aspects multitextuels qui ne se limitent pas aux textes littéraires. Très variées et issues des univers différents, ces études ont un point commun. Elles s’accordent à présenter le chef-d’œuvre de Nabokov comme une réflexion sur la culture au sens très large du terme. Mais aussi comme le triomphe du talent opérant, à la limite de la magie, une transfiguration poétique de la matière brute qui, au départ, ne s’y prête pas forcément. Un sujet graveleux et trash comme porte d’entrée à la “découverte du mythe” (N. Berberova), tel est le vertigineux pari de l’auteur de ce roman  étonnant qui n’a pas encore livré tous ses secrets.

 

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