vendredi 24 avril 2015

Le vice impuni de Jean Castarède

Pablo Picasso, La Lecture


J’aurais pu rencontrer M. Castarède au salon de la Gastronomie 2014.  Nos tables étaient voisines, mais on s’est raté, je ne sais pas trop pour quelle raison. Certes, à l’époque je n’avais pas encore étudié Mon vice impuni, ce labyrinthe initiatique qui encourage toutes sortes de questions indiscrètes. Autrement, je n’aurais pas laissé repartir son auteur sans l’avoir interrogé…

Singulier et inclassable, ce livre est passionnant, car écrit par un passionné. Mais aussi parce qu’il réunit plusieurs ingrédients qui ne manquent pas d’attiser, puis de captiver l’attention du lecteur.

« Depuis Rousseau, les confessions sont devenues impudiques », affirme l’auteur au début du premier chapitre, en donnant ainsi le ton de cet ouvrage. La sienne passe par l’écriture et c’est un choix. Entre un sacrement chrétien, un déballage psychanalytique et un étalage médiatique, voici une occasion d’avouer l’inavouable, en évoquant ses addictions, ses vices et ses défauts, mais aussi de réfléchir sur les notions de péché et d’interdit. C’est dans ce contexte que l’ancien élève des « bons pères » place d’emblée son « vice impuni », la lecture, qui le pousse à la fréquentation assidue d’un certain « lieu », au désespoir de son épouse.

En ne révélant que très tardivement le nom de ce « lieu » (que je garderai secret à mon tour), l’auteur réussit à maintenir le suspense jusqu’au bout. En même temps, il s’amuse à donner au lecteur un certain nombre de fausses pistes concernant des lieux à la fois branchés et malfamés, infréquentables ou ceux dont la réputation a radicalement changé ces dernières années (dont l’incontournable Fouquet’s). Les « fourvoiements coquins » sont eux aussi volontaires et même programmatiques. Pour Jean Castarède, la lecture est un plaisir sensuel, et elle a sans doute un lien direct avec ses deux autres passions : le luxe et l’armagnac. D’après son ami Brice Torrecillas, il éprouve un besoin de feuilleter, de toucher, de caresser, il lui faut un contact physique. « Même l’écriture possède un côté charnel. Ecrire, c’est faire l’amour ».

C’est ainsi que nous arrivons au troisième ingrédient de Mon vice impuni qui est la transgression. En faisant des réflexions sur le voyeurisme qui apparaît comme un pendant à la confession, Jean Castarède n’hésite pas à citer des textes libertins ou à raconter son travail dans la commission de censure ayant pour but de classer les films X. D’ailleurs indépendamment de leur sujet, ses souvenirs ressemblent toujours à de petites leçons d’histoire, très loin des manuels scolaires : tel est par exemple le chapitre 5 intitulé « Intrusion de la sexualité dans l’audiovisuel ». Mais la transgression a aussi d’autres visages, comme l’intérêt pour les « anti-moi » ou cet éloge de la retraite écrit au sommet d’une vie bien remplie et qui confirme pourtant mon intuition : « A de rares exception près, la vie professionnelle exalte rarement nos qualités. Voilà pourquoi la retraite peut être la chance de notre vie. C’est l’enjeu du XXIe siècle et il n’est pas paradoxal de dire que toute une vie est nécessaire pour réussir sa retraite ».

Au chapitre 13 l’auteur rappelle, à juste titre, le rapport étymologique entre les mots « lieu » et « lien », car il est question ici de la capacité d’échanger avec autrui. Des rencontres incroyables, des endroits mythiques : la vie de ce rescapé d’un accident d’avion est un roman écrit sous l’égide du « démon de la découverte ». Ainsi, Mon vice impuni est aussi un bel hommage à la curiosité sous toutes ses formes. Car chez ce Gascon elle rime avec générosité et même avec une certaine exubérance méridionale qui ne laisse pas indifférent.

Un dernier point important : diplômé d’HEC et de l’ENA, l’auteur est aussi un éditeur infatigable, créateur de la collection « Pour les surdoués », lancée par dérision amicale et par opposition à la collection « Pour les nuls ».  Celui qui trouve le métier d’éditeur exaltant et peut-être le plus beau du monde rêve de retrouver dans l’enseignement français « le goût du pittoresque, de l’anecdote, du rapprochement, de la transmission ». C’est aussi ce type particulier d’érudition qui marque sa relation avec de nombreux auteurs qu’il cite ou évoque dans ses pages: Camus, Sartre, Gide, Mauriac, Malraux, Saint-Exupéry, Sainte-Beuve, les frères Goncourt, mais aussi Valéry Larbaud, le premier à avoir écrit sur le « vice impuni » en 1925, Brigitte Lahaie (qu’il apprécie beaucoup) et bien sûr Brassens, ce « mécréant » qui a « dépucelé » son âme.


Que dire de plus ? Je vais visiter le « lieu » très prochainement, car Jean Castarède m’a vraiment donné envie de le connaître…


Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire