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Pablo Picasso, La Lecture |
J’aurais pu rencontrer M.
Castarède au salon de la Gastronomie 2014.
Nos tables étaient voisines, mais on s’est raté, je ne sais pas trop
pour quelle raison. Certes, à l’époque je n’avais pas encore étudié Mon vice impuni, ce labyrinthe
initiatique qui encourage toutes sortes de questions indiscrètes. Autrement, je
n’aurais pas laissé repartir son auteur sans l’avoir interrogé…
Singulier et inclassable, ce
livre est passionnant, car écrit par un passionné. Mais aussi parce qu’il
réunit plusieurs ingrédients qui ne manquent pas d’attiser, puis de captiver
l’attention du lecteur.
« Depuis Rousseau, les
confessions sont devenues impudiques », affirme l’auteur au début du
premier chapitre, en donnant ainsi le ton de cet ouvrage. La sienne passe par
l’écriture et c’est un choix. Entre un sacrement chrétien, un déballage psychanalytique
et un étalage médiatique, voici une occasion d’avouer l’inavouable, en évoquant
ses addictions, ses vices et ses défauts, mais aussi de réfléchir sur les
notions de péché et d’interdit. C’est dans ce contexte que l’ancien élève des
« bons pères » place d’emblée son « vice impuni », la
lecture, qui le pousse à la fréquentation assidue d’un certain
« lieu », au désespoir de son épouse.
En ne révélant que très
tardivement le nom de ce « lieu » (que je garderai secret à mon
tour), l’auteur réussit à maintenir le suspense jusqu’au bout. En même temps,
il s’amuse à donner au lecteur un certain nombre de fausses pistes concernant
des lieux à la fois branchés et malfamés, infréquentables ou ceux dont la
réputation a radicalement changé ces dernières années (dont l’incontournable
Fouquet’s). Les « fourvoiements coquins » sont eux aussi volontaires
et même programmatiques. Pour Jean Castarède, la lecture est un plaisir
sensuel, et elle a sans doute un lien direct avec ses deux autres
passions : le luxe et l’armagnac. D’après son ami Brice Torrecillas, il
éprouve un besoin de feuilleter, de toucher, de caresser, il lui faut un
contact physique. « Même l’écriture possède un côté charnel. Ecrire, c’est
faire l’amour ».
C’est ainsi que nous arrivons au
troisième ingrédient de Mon vice impuni
qui est la transgression. En faisant des réflexions sur le voyeurisme qui
apparaît comme un pendant à la confession, Jean Castarède n’hésite pas à citer
des textes libertins ou à raconter son travail dans la commission de censure
ayant pour but de classer les films X. D’ailleurs indépendamment de leur sujet,
ses souvenirs ressemblent toujours à de petites leçons d’histoire, très loin
des manuels scolaires : tel est par exemple le chapitre 5 intitulé
« Intrusion de la sexualité dans l’audiovisuel ». Mais la transgression
a aussi d’autres visages, comme l’intérêt pour les « anti-moi » ou
cet éloge de la retraite écrit au sommet d’une vie bien remplie et qui confirme
pourtant mon intuition : « A de rares exception près, la vie
professionnelle exalte rarement nos qualités. Voilà pourquoi la retraite peut
être la chance de notre vie. C’est l’enjeu du XXIe siècle et il n’est pas paradoxal
de dire que toute une vie est nécessaire pour réussir sa retraite ».
Au chapitre 13 l’auteur rappelle,
à juste titre, le rapport étymologique entre les mots « lieu » et
« lien », car il est question ici de la capacité d’échanger avec
autrui. Des rencontres incroyables, des endroits mythiques : la vie de ce
rescapé d’un accident d’avion est un roman écrit sous l’égide du « démon
de la découverte ». Ainsi, Mon vice
impuni est aussi un bel hommage à la curiosité sous toutes ses formes. Car
chez ce Gascon elle rime avec générosité et même avec une certaine exubérance
méridionale qui ne laisse pas indifférent.
Un dernier point important :
diplômé d’HEC et de l’ENA, l’auteur est aussi un éditeur infatigable, créateur
de la collection « Pour les surdoués », lancée par dérision amicale
et par opposition à la collection « Pour les nuls ». Celui qui trouve le métier d’éditeur exaltant
et peut-être le plus beau du monde rêve de retrouver dans l’enseignement
français « le goût du pittoresque, de l’anecdote, du rapprochement, de la
transmission ». C’est aussi ce type particulier d’érudition qui marque sa
relation avec de nombreux auteurs qu’il cite ou évoque dans ses pages: Camus,
Sartre, Gide, Mauriac, Malraux, Saint-Exupéry, Sainte-Beuve, les frères
Goncourt, mais aussi Valéry Larbaud, le premier à avoir écrit sur le
« vice impuni » en 1925, Brigitte Lahaie (qu’il apprécie beaucoup) et
bien sûr Brassens, ce « mécréant » qui a « dépucelé » son
âme.
Que dire de plus ? Je vais
visiter le « lieu » très prochainement, car Jean Castarède m’a
vraiment donné envie de le connaître…
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