![]() |
Affiche du film "Chemin de croix" |
« Tout système crée sa propre normalité. Les
choses les plus étranges peuvent paraître normales quand vous y êtes
habitués ».
Dietrich Brüggemann
La ferveur excessive d’un jeune
prêtre volubile, une ambiance studieuse et un vocabulaire quelque peu archaïque…
Il faut attendre que tombent les mots tels que « ennemi »,
« combat », « soldat du Christ » et « sacrifice »
pour comprendre qu’une tragédie se prépare derrière ce qui ressemble au premier
abord à une banale leçon de catéchisme. Il faut attendre l’apparition d’un
appareil photo numérique et l’évocation d’un site internet dans les scènes
suivantes pour situer l’action dans notre époque.
La force du film Chemin de croix de Dietrich Brüggemann est
de proposer une double grille d’interprétation. Maria Göttler, cette
adolescente de 14 ans au nom parlant, est-elle une nouvelle sainte qui refait
de nos jours le chemin du Christ ou une jeune fille hypersensible poussée vers une
mort certaine par des adultes irresponsables ? Deux approches se mêlent de
façon inextricable : la logique religieuse implacable dans son
jusqu’auboutisme et le regard extérieur extrêmement lucide, critique, parfois
sarcastique car ce qui se passe sous nos yeux frôle l’absurde. Un regard
semblable à celui d’un médecin légiste qui constate les conséquences mortelles
d’une éducation fanatique, qu’elle soit d’ordre religieux ou idéologique.
Surtout lorsque cette éducation est amplifiée par les choix radicaux dictés par
le maximalisme de la jeunesse. Mais après tout, Maria ne fait que suivre les
préceptes qui lui ont été enseignés, en allant même au-delà des attentes du
prêtre. A chaque spectateur de trancher, et il faut dire que ce film épuré au
générique muet, presque sans musique et aux plans fixes ne facilite pas sa
tâche. Paradoxalement, la camera figée apparaît aux yeux du réalisateur comme synonyme
de la liberté du spectateur dont le regard n’est pas orienté. Mais elle ne
propose non plus aucune échappatoire. Ainsi, le choc des images auxquelles on
est exposé est d’une rare violence émotionnelle. On ne sort pas indemne de
cette séance, et il semble d’autant plus important de pouvoir en parler aux
autres.
Même si le film n’a rien
d’autobiographique, Dietrich Brüggemann connait parfaitement son sujet pour
avoir fréquenté les milieux catholiques intégristes dans son adolescence. La
Fraternité Saint-Paul du film qui se veut littéralement plus catholique que le
pape a été inspirée par la Fraternité sacerdotale Saint-Pie. Le déroulement du
film se fait en quatorze séquences qui ont été réalisées avec une rigueur
documentaire, sans aucun artifice de montage et presque en ordre chronologique.
Ces quatorze plans-séquences qui correspondent au nombre de stations dans le
chemin de croix parcouru par Jésus Christ permettent de comprendre le Calvaire d’une
adolescente.
La caméra bouge seulement trois fois au cours des 14 scènes, toujours au moment crucial de l’histoire et de façon quasi symbolique. Le premier mouvement coïncide avec la Confirmation de Maria, le deuxième a lieu au moment de sa mort. Quant au troisième, le plus important, il laisse lui aussi à chacun sa liberté d’interprétation. Le miracle a-t-il eu lieu ? Le sacrifice de la jeune martyre était-il justifié ? Ce ciel désespérément gris, est-il le dernier refuge pour l’âme de Maria ? Ou bien un grand vide qui s’étend au-dessus de la tombe ouverte ?
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire