jeudi 1 juin 2017

Le roman de formation, un genre misogyne ?


 
 
Le roman de formation (Bildungsroman) est un genre littéraire romanesque né en Allemagne au XVIIIe siècle. Le plus souvent ordonné chronologiquement et étalant la narration sur plusieurs années, il relate l’évolution d’un jeune héros qui est amené, à l'occasion de rencontres successives et de péripéties diverses, à acquérir une expérience et à « former » sa personnalité, sur le plan sentimental, social, intellectuel ou culturel. Au bout de son parcours bien souvent fait de voyages, le protagoniste parvient soit à un accomplissement, soit au contraire à une désillusion qu'accompagne la perte d'un idéal. Ce cheminement, couramment présenté comme le passage à l’âge adulte, lui permet de trouver sa vocation et sa place dans le monde, en devenant une personne accomplie et cultivée.

 

À l’intérieur du roman de formation se laissent distinguer deux sous-catégories : le roman d’initiation et le roman d’apprentissage. Le premier reproduit les rites religieux d’initiation, le voyage, les épreuves et la révélation ultime[1], tandis que le deuxième implique une initiation à l’amour et au monde social.
 

 
 

Bien qu'il n'en soit pas l'inventeur, c'est Goethe qui, avec Les Années d'apprentissage de Wilhelm Meister (1795-1796), illustre particulièrement le roman de formation. Mais l’idée d’un jeune homme faisant son éducation est beaucoup plus ancienne. Au Moyen Âge, dans le roman de chevalerie, les héros devaient subir des épreuves et surmonter des obstacles pour prouver leur valeur et entrer dans la société.

 

Le mot allemand Bildung renvoie à des notions aussi proches et variées que construction, modelage, formation, éducation et culture (comme somme individuelle d’expériences et de connaissances). À ce sujet, Florence Bancaud-Maenen affirme que ce type de récit « n’est véritablement consacré comme genre que grâce à la critique allemande et à l’importance qu’y revêt la notion de Bildung. Originellement associée à la création divine et à l’image de Dieu, elle suppose, dans les confessions et autobiographies piétistes qui foisonnent au dix-huitième siècle, que l’homme peut s’amender en se conformant au plan divin. La tradition humaniste opère ensuite une sécularisation de ce concept théologique : la notion s’individualise, s’intériorise et devient synonyme d’éducation de soi, de développement »[2].

 

Voici une des nombreuses définitions résumant les particularités du genre : « Malgré de nombreuses variations, ces textes racontent le parcours d’un jeune homme qui parvient à acquérir une expérience et une connaissance du monde, accédant à une réussite sociale et personnelle, même si celle-ci n’est pas durable ». On l’aura compris, le roman de formation représente un genre masculin par excellence. En effet, dans la plupart de ces romans, les femmes apparaissent uniquement à titre de « personnages tutélaires »[4] maternels ou diaboliques qui initient le héros à l’amour ou lui enseignent les codes de la société. La seule exception notoire concerne les romans historiques consacrés à la formation des reines. D’autres exceptions, trop peu nombreuses, trop courtes, fragmentaires ou inachevées, ressemblent aux esquisses et bien souvent s’arrêtant au seuil de l’adolescence (L’enfance de Luvers de Pasternak ou Nétotchka Nezvanova de Dostoïevski, pour ne citer que des romans russes).

 

Selon les règles du genre, la jeune fille, bien que confinée à la sphère de l’intime, est d’emblée exclue de toute quête spirituelle à laquelle la tradition du roman de formation associe l’analyse psychologique, religieuse, philosophique ou sociale. Sans surprise, c’est l’amour qui devient l’unique source de ses émois juvéniles. Quant aux romans picaresques mettant en scène des héros moins complexes, leurs héroïnes sont bien souvent obligées de se travestir afin de compléter leur éducation et mieux cerner les hommes (c’est le cas de Madeleine de Maupin, l’héroïne du premier roman de Théophile Gautier).

 

Dans un tout autre style, les romans de Jane Austen ou de Charlotte Brontë relatent l’éducation du genre très particulier qui s'achève avec le mariage de l’héroïne. Même lorsque l’histoire s’inscrit dans un large contexte social et historique, comme Au bonheur des dames de Zola, le mariage avec son patron représente le comble des aspirations de la jeune apprentie. D’autres romans, comme la série des Claudine de Colette, se concentrent principalement sur l’apprentissage de la sensualité par une ingénue, restant fidèles à leur leitmotiv : la formation à l’amour représente l’expérience cruciale sinon unique dans la vie de la jeune femme.



[1] Cf. Pierre Aurégan,  Le roman d’apprentissage au dix-neuvième siècle, Nathan Balises, 1997, p. 9-11.
[2] Florence Bancaud-Maenen, Le roman de formation au dix-huitième siècle en Europe, Nathan, 1998, p. 40.
[4] Marie-Claude Demay, Denis Pernot, Le roman d’apprentissage en France au XIXe siècle, Ellipses, 1995, p. 94.

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