dimanche 17 janvier 2016

Jardin le flamboyant


 
La virulence d’un manifeste se mesure à l’enthousiasme qu’il suscite. Sous-titré Manifeste pour les Faizeux, le livre d’Alexandre Jardin Laissez-nous faire ! On a déjà commencé réunit plusieurs qualités indispensables pour entrainer ses lecteurs.

 

Appel à l’action

L’auteur lance un appel à la famille des « faizeux » qui prennent en charge des problèmes concrets du pays et fabriquent sur le terrain leur légitimité.  Son projet, ce n’est pas de fonder un énième parti politique prétendument neuf ou un think tank empilant des rapports volumineux mais un vaste do tank citoyen. Parmi les mots d’ordre : collaboration, partage unité et inclusion. Il s’agit de faire de la société civile aux ressources éparses, émiettées, une formidable puissance politique. 

 

Alexandre Jardin sait de quoi il parle. Ce sont ces « faizeux »  (dont il fait lui-même partie) qui étaient à l’origine des mouvements citoyens et collaboratifs « Lire et faire lire » et « Bleu Blanc Zèbre ». Ce dernier réunit aujourd’hui 200 opérateurs de la société civile tels que des associations, fondations, acteurs des services publics, mairies, mutuelles ou entreprises. Ses participants, les Zèbres, sont regroupés par BBZ dans des Bouquets de solutions thématiques. Contrairement aux « dizeux », ces « faizeux » diffuseurs de bonnes pratiques seront jugés sur les faits et non les promesses. Car « toute promesse est l’aveu d’une impuissance présente. […] Promettre, c’est désormais se décrédibiliser ».

 

 

Colère et révolte 

L’auteur n’hésite pas à jeter le discrédit sur les hommes et partis politiques qui en prennent pour leur grade. Les premiers en tant que gens irréels aux méthodes empesées et inaccessibles aux doutes, des « mini-Colbert » étatistes et dirigistes à l’ego démesuré, « des équipes technocratisées qui ont atteint les limites de l’incompétence ». Les deuxièmes, en tant que « glaciales machines calculatrices, capables de s’asseoir sans ciller sur leurs valeurs les plus fondatrices ».

 

L’écrivain fustige également l’esprit moutonnier qui empêche un renouvellement audacieux : « Ras le bol de cette société civile plaintive, obéissante et courbeuse d’échine ! » Parmi les passages les plus remarquables, un éloge de désobéissance positive, constructive et solidaire. Lorsque les chemins raisonnables et classiques sont devenus les impasses, la désobéissance est légitime et nécessaire. Tel est le sens de cette incantation, appelant à désobéir à aux élus, à la doxa, aux énarques, à tous les adeptes du déni, aux partis momifiés et à sa propre lâcheté.  A ce propos, l’auteur n’hésite pas à invoquer l’esprit Charlie ou le sursaut républicain ravivant le courage des Résistants.

 

Force romanesque 

L’Histoire a d’ailleurs toute sa place dans les visions de celui qui « a longtemps porté un masque de romancier » en essayant de corriger le réel par écrit. L’ouvrage de Jardin peut être lu aussi comme un récit intime ponctué des rencontres mémorables. L’écrivain qui depuis L’Île des gauchers ne recule pas devant le genre utopique est toujours à la recherche du Héros et d’une idée du réel pouvant se substituer à la fiction pure. D’où les références historiques et le recours aux modèles, ces « tourbillons humains », comme Churchill ou de Gaulle. Car selon Jardin, un président, c’est avant tout l’auteur du grand roman national et le metteur en mots d’une aventure collective. « Or le malheur veut que les présidents qui se sont succédé depuis François Mitterrand n’ont pas raconté à la France de grands romans vivifiants ». Telle princesse ensorcelée, la France lui apparaît comme un réservoir d’énergies dormantes ; elle n’attend qu’à être réveillée par « les amants de la République ». Une belle occasion pour célébrer la créativité désordonnée et féconde d’une société vivante et auto-organisée, l’ingéniosité et l’inventivité exubérante des  gens qui se bougent, souvent de façon bénévole. Les gens inaptes au moule, férus de liberté et naturellement bienveillants, de « grands caractères anormalement vivants qui redessinent le monde ». Porté par les réseaux sociaux, cette énergie existe grâce à l’élan des entrepreneurs, des fonctionnaires innovants, des militants associatifs qui raisonnent out of the box : « les dingos de vie, les aspirateurs à idées neuves, les amateurs de folies efficaces et les gentils » qui exigent un grand rôle. Il ne faut pas leur demander  de la cohérence : la complexité de la vie appelle des solutions très diverses et souvent contradictoires. Ce qui compte, c’est de faire jaillir des solutions opérationnelles là où les énarques  des ministères ne voient que des problèmes. C’est la vocation des bouquets des « zèbres » agissant avec peu de moyens, pour combattre l'illettrisme, éduquer des jeunes, permettre de trouver ou de retrouver un emploi, mettre des livres à portée de défavorisés, transporter des personnes à mobilité réduite, donner accès à un logement décent à ceux qui n'en ont pas.

 

La force romanesque de Jardin, c’est aussi sa puissance langagière, cette capacité à nommer les choses qui est la marque du leadership réel,  à « féconder notre langage » en lui faisant des enfants « exaltés, turbulents et vivants ». Tels sont par exemple de nombreux néologismes peuplant les pages de ce livre : conseildétateux, emparisianisés, marinesque, chruchillesque, charlien, véroniquien, abbépierresque…

 

Et pour couronner le tout, il y a le titre. Le titre en impératif qui ne laisse aucun doute sur l’objet de ce manifeste. Une injonction plutôt qu’une demande et qui n’est pas sans rappeler cette tirade véhémente de Marquis d'Argenson, l’un des premiers critiques de l’interventionnisme à la française « Laissez faire, telle devrait être la devise de toute puissance publique, depuis que le monde est civilisé. […] Laissez faire, morbleu ! Laissez faire !! »

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