lundi 5 octobre 2015

Manifesto Attitude : Friedensreich le visionnaire


Hundertwasserhaus à Vienne


Rien que son nom a déjà tout d'un manifeste. Friedensreich Hundertwasser Regentag Dunkelbunt LiebeFrau s’appelait en réalité Friedrich Stowasser. Celui qui se désignait comme « Le royaume de la paix (aux) cent eaux » citait tout aussi volontiers la traduction japonaise de son nom (hyaku-sui). Bien qu'il soit né et ait grandi en Autriche, le pays d'adoption de Hundertwasser était la Nouvelle-Zélande, et sa principale maison le navire Regentag (jour de pluie), un ancien navire de commerce réorganisé.

 

Dans les années 1970, Hundertwasser acquiert dans la Bay of Islands en Nouvelle-Zélande plusieurs propriétés, qui comprenaient avec une surface totale de 372 ha, toute la vallée "Kaurinui". Là, il réalise son rêve de vivre et travailler dans la nature et entre autres dans le "bottle house" qu'il avait conçu. Il y installe des capteurs solaires, une roue à eau et une station de traitement de l’eau par les plantes ce qui lui permet de vivre en autarcie. Il expérimente aussi la technique des toits plantés. Précurseur du mouvement écologiste et de l’activisme vert, il avait également construit une centrale thermique multicolore pour le chauffage urbain de Vienne.

 

Hundertwasser était imprégné par le paysage artistique viennois fin de siècle marqué par les courbes et les ornements de l’Art Nouveau et par la pédagogie alternative de Montessori. Mais ses constructions organiques, il les puisait aussi dans l'architecture anonyme, s'inspirant de ses voyages au Yémen, au Soudan, au Japon, en Islande et en Afrique du Nord.  Sa maison idéale peinte en 1962 possède mille fenêtres qui s'ouvrent au monde.

 

La variété des couleurs et une imagination débordante qui refuse de se laisser enfermer dans un carcan font toute l’originalité de cet artiste. Hundertwasser aimait l'asymétrie, l’abondance  des formes et tout ce qui vient rompre l'ordre et la monotonie de la géométrie pure. Sa philosophie artistique est marquée par l’idée de l’osmose, de l’interpénétration organique des strates.

 

A partir des années 1980, il travaille à plusieurs grands chantiers en Autriche et en Allemagne. Il avait notamment créé en 1983 à Vienne un immeuble qui porte son nom: cette construction, le monument le plus visité de la capitale autrichienne est un symbole de "l'architecture écologique". Cet édifice très original est constitué de briques, de céramiques, de matériaux naturels, et agrémenté d'une végétation luxuriante (253 arbres et arbustes). Le hall abrite même une étonnante fontaine où l’eau coule à l’envers. Pour réaliser cette construction, Hundertwasser s’est inspiré des œuvres d’Antoni Gaudi, de Simon Rodia (Watts Towers), mais également de l’architecture anonyme des jardins ouvriers et des livres de contes.

 

En quête de l’harmonie spirituelle, il créé des formes originales et cherche à tisser des rapports étroits entre l'art et la nature. Leur travail commun faisant jaillir une créativité spontanée apparaît sous forme symbolique qu’il appelle « la moisissure créatrice ». En 1958 à Wiesbaden, il  publie son Manifeste de la moisissure contre le rationalisme en architecture (Verschimmelungs-Manifest gegen den Rationalismus in der Architektur) marqué par un esprit existentialiste et antitotalitaire. Alors qu’il est encore loin de ses réalisations architecturales, il exprime d’ores et déjà dans ce texte son idée maîtresse d’une architecture humaine et participative. Rejetant tout élitisme et tout diktat du diplôme, il y parle de la nécessité d’appliquer à l’architecture cette liberté de créer n’importe quelle œuvre et de l’exposer qui existe déjà en peinture et en sculpture. « L’architecture subit dans notre pays la même censure que la peinture en Union soviétique. Les constructions ne sont que de lamentables compromis réalisés par des gens à l’esprit linéaire et agissant avec mauvaise conscience ! Chaque individu doit pouvoir construire, doit construire, afin d’être véritablement responsable des quatre murs entre lesquels il habite ».[1] Hundertwasser affirme préférer le foisonnement architectural sauvage des bidonvilles à l’architecture utile et fonctionnelle. Voilà pourquoi il appelle à supprimer « la jungle de lignes droites qui nous enferment comme dans une prison » et de se révolter contre le fait d’être mis dans les boîtes, « comme des poules et des lapins en cages ». A cet effet, l’architecte, le maçon et l’habitant doivent former une trinité, au même titre que Le Père, Le Fils et le Saint-Esprit. L’homme doit retrouver la fonction critique et créatrice sans laquelle il cesse d’exister en tant qu’être humain.

 

« Dans son appartement, un homme doit avoir la possibilité de se pencher par la fenêtre et de gratter la maçonnerie aussi loin que possible. Il doit avoir le droit de peindre tout en rose, aussi loin qu’il le peut, avec un long pinceau, de sorte qu’on puisse le voir de la rue et penser : l’homme qui habite là ne ressemble pas à ses voisins, au petit bétail discipliné ! Il doit également pouvoir débiter les murs à la scie et entreprendre toutes sortes de transformations même si cela doit détruire l’harmonie architecturale d’un ouvrage d’un maître de l’architecture. Et il doit pouvoir remplir ses pièces de boue et de pâte à modeler ».[2]

 

A ses yeux, la ligne droite est impie et immorale. « Il y a en elle moins d’esprit humain et divin qu’un esprit de fourmi sans cervelle et avide de confort ». C’est pour cette raison que depuis sa première spirale peinte en 1953 dans l’atelier parisien de son ami René Brô il préfère cette forme symbolisant la transformation de la matière inanimée en vie. A la fois infinie et toujours revenant sur elle-même, elle évoque les cercles de croissance d’un arbre ou des couches sédimentaires.

« Je suis convaincu que l'acte de création s’est fait sous forme de spirale.

[…]

La spirale pousse et meurt végétative, c’est-à-dire que les lignes spiroïdales se déroulent tels que les méandres des fleuves et suivent loi de la croissance des plantes. Elle n’oblige en aucune façon le déroulement, mais elle se laisse diriger. En conséquence, il lui est impossible de faire des erreurs."

Mort à bord du Queen Elizabeth 2 le 19 février 2000,  Friedensreich Hundertwasser est enterré dans sa propriété en Nouvelle-Zélande sous un tulipier, sans cercueil, nu et enveloppé dans un "Koruflagge" (drapeau qu'il a conçu pour la Nouvelle-Zélande). Sa vie était inséparable de son art, et tous les deux sont restés en accord avec son credo : « Si quelqu'un rêve seul, ce n'est qu'un rêve. Si plusieurs personnes rêvent ensemble, c'est le début d'une réalité ! »

 
Hundertwasser: Manifeste de la moisissure...

 


 Pour participer au concours de manifeste:




 

 




[1] Antje Kramer, Les grands manifestes de l’art des XIXe et XXe siècles, Beaux Arts éditions, p. 182.
[2] Ibid, p 183.

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire