mercredi 17 juin 2015

"David Bowie is": le bilan de l'exposition







L’un des grands mérites de l’exposition David Bowie is qui a fait escale à la Philharmonie de Paris du 3 mars au 31 mai 2015 est d’avoir démontré le lien entre la fascination exercée par Bowie sur ses contemporais et son côté « œuvre d’art totale », au sens plus postmoderne que wagnérien du terme. Cet incomparable esprit de la synthèse au carrefour  de la musique, de la peinture, de la mode, du théâtre et du cinéma, il le doit à son intuition, sa sensibilité et à une conscience précoce de son rôle de précurseur. Sa réceptivité va de pair avec sa passion pour la métamorphose et un mélange aussi troublant qu’audacieux de genres, de formes et de styles. Entre l’avant-garde et la culture populaire, il absorbe comme une éponge les livres, les disques, les films, les modes, avant de se créer et de se recréer au cours d’une transformation permanente. Comme les écrivains américains de la Beat Generation, il ne recule pas devant la technique du cut-up basée sur la réunion des éléments disparates. Ce n’est sans doute pas un hasard si JD Beavallet le compare à un vampire, en évoquant l’un de ses rôles au cinéma en compagnie de Catherine Deneuve, un rôle d’autant plus légitime qu’il trouve sa justification dans son credo de 1997 : « Les vampires demeurent l’un de nos mythes les plus remarquables. Je ne fais pas ça pour être en avance sur tout le monde, mais uniquement parce que je suis poussé par une incurable curiosité pur tout ce qui est nouveau ».[1]

Toujours soucieux d’incorporer des idées venant d’autres formes d’art, dans la tradition des art schools britanniques, Bowie n’hésite pas à puiser un peu partout pour alimenter son laboratoire, en restant tout au long de sa carrière ouvert à de nombreuses influences non musicaux. Tout d’abord, le dadaïsme et le surréalisme qui encouragent son goût pour le bizarre, mais aussi la littérature anglaise, d’Oscar Wilde et D.H. Lawrence à Christopher Isherwood et Anthony Burgess. L’adaptation d’Orange mécanique par Stanley Kubrick lui donne une nouvelle occasion d’exprimer son admiration au réalisateur de 2001, l’Odyssée dans l’espace, l’une des principales sources de Space Oddity et d’une esthétique vestimentaire métallisée et futuriste. Enfin, difficile d’imaginer Bowie sans le ready made de Duchamp ou la sérigraphie de Warhol. 

Mais l’exposition à la Philharmonie de Paris a également mis en lumière des influences moins connues dont le lyrisme et la capacité narrative de Jacques Brel (Bowie assiste à Londres à la comédie musicale Jacques Brel is Alive and Well and Living in Paris montée par Mort Shuman). Il se passionne non seulement pour la musique de Kurt Weill mais aussi pour l’expressionnisme d’un Kirchner : installé à Berlin, il se rendra en pèlerinage au musée de Grunewald consacré au mouvement Die Brücke. Il regarde les films de Fritz Lang, Murnau ou Pabst et apprécie l’art engagé de Brecht, tout en restant ouvert aux autres influences théâtrales les plus hétéroclites : celle de la Commedia dell’Arte (avec le personnage de Pierrot), mais aussi celle du théâtre japonais (le  et le kabuki) ou de mime Marceau, intermédiaire entre la figure de clown traditionnel et  l’art d’un Charlie Chaplin, comique singulier et solitaire.

Enfin, le style Bowie créé de toutes pièces à mesure qu’il inventait ses personnages n’aurait pas pu émerger sans une collaboration intense avec les créateurs de mode, comme Natasha Korniloff, Kansai Yamamoto, Alexander McQueen, Hedi Slimane ou Thierry Mugler. D’après Nelly Kaprièlian, toute la trajectoire vestimentaire de Bowie ressemble à un laboratoire dans lequel la mode contemporaine n’aurait plus qu’à puiser. C’est ainsi qu’il inspire de nombreuses collections des années 2000, de Gareth Pugh à Raf Simons.[2]

Et même si l’exposition n’a présenté qu’un aperçu des ces multiples interactions, elle a donné à ses visiteurs des indices précieux. Autant de pistes à explorer pour mieux comprendre la nature de l’inspiration artistique et les rapports étroits et réciproques entre la culture, la créativité et l’innovation.



[1] JD BeauvalletCaméleon ou vampire?,  Les Inrocks hors série, Paris, 2015, p. 71.

[2] Nelly Karièlian, Self-made modeLes Inrocks hors série, Paris, 2015, p. 77.

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire