 |
Kostantin Raïkine |
La
censure existe-t-elle toujours
en Russie ? L’éternel débat a cette fois été relancé par l’acteur
Konstantin Raïkine, directeur de la troupe
Satiricon
et fils du célèbre acteur de comédie et humoriste Arkadi Raïkine. Dans son
discours prononcé le 24 octobre au congrès
des artistes de théâtre et consacré à la mémoire de son père, il a critiqué
l’intrusion de l’Etat et des « groupes des citoyens offensés » dans
la vie culturelle du pays. D’après Raïkine, ces groupes politiques pro-Kremlin
qui annulent les spectacles et déversent de l’urine sur les photos jugées obscènes
brandissent des valeurs telles que « Patrie »,
« Spiritualité », « Morale», etc. Mais en réalité, ces formes de
pression marqueraient le retour de la censure, la « malédiction et la honte
séculaire de notre pays » dans ses formes les plus odieuses propres à l’époque
stalinienne. L’acteur et réalisateur qui, dans les années 1980, avait été
le premier à faire connaître au grand
public les poèmes d’Ossip Mandelstam en version non censurée a fait référence à
trois événements culturels devenus la cible des attaques récentes des
intégristes orthodoxes : la représentation de
Tannhäuser à l’opéra de Novossibirsk, l’exposition du photographe
Jock Sturges à Moscou présentant les enfants naturistes et l’opéra-rock
Jesus Christ Superstar interdite à la représentation à Omsk. Inquiet
et outré par la multiplication de tels incidents dangereux pour la liberté
d’expression, Raïkine, dont le spectacle
Toutes
les nuances du bleu avait déjà fait l’objet d’enquêtes concernant la
« propagande homosexuelle devant mineurs », a appelé ses
confrères à la résistance mais aussi à la solidarité face à la barbarie.
Dans
sa
réponse à Raïkine, le porte-parole de Kremli Dmitri Peskov a rejeté
les accusations de censure en admettant cependant l’existence des
« commandes d’Etat » dans le domaine culturel. « Quand l’Etat
finance une œuvre d’art, il a le droit de faire part de ses exigences », a
déclaré Peskov.
 |
Andreï Zviaguintsev |
Parmi les nombreux artistes,
journalistes et écrivains ayant soutenu Kostantin Raïkine, on peut citer le nom
du cinéaste Andreï Zviaguintsev. Le réalisateur de
Léviathan a dénoncé la corruption du pouvoir et
rappelé les origines de l’argent public qui sert à financer les
« commandes d’Etat »,
Vladimir Pozner a quant à lui
épinglé
ces groupes conservateurs et nationalistes qui « pour une raison
inconnue » se font passer pour la voix du peuple. Cependant, celle-ci
n’est pas toujours porteuse de vérité. Pire, très souvent encore, elle est
manipulée par le pouvoir. Et surtout, selon Pozner, le jugement du
« peuple » ne vaut pas grand-chose en matière d’art : il suffit
de se rappeler les attaques dirigées contre Prokofiev, Chostakovitch, Pasternak
et Akhmatova. Face à ces tristes précédents, le journaliste essaie d’imaginer
ce qui pourrait arriver si les barbares orthodoxes criant au
« blasphèmes » se retrouvaient au Louvre ou à la Galerie des
Offices
devant des statues dénudées des
hommes, des femmes et des enfants…
 |
Evgeueni Mironov |
Son inquiétude
est partagée par l’acteur Evgueni
Mironov : « Que faire quand des ignorants agressifs envahissent le
monde des professionnels des arts, en essayant de discréditer les notions
d’artiste, d’art, de liberté ? Comment peut-on expliquer que
Danaé n’est pas de la pornographie, que
Le cheval rouge au bain n’est pas une
propagande de l’homosexualité, que
Lolita
n’est pas un manifeste de la pédophilie ? » demande l’acteur qui
suggère la création d’ unions professionnelles capables de centraliser la
défense des artistes.