Dans sa conférence
intitulée Nabokov and Paris: A Love-Hate
Relationship Maurice Couturier, le traducteur français de Nabokov et
l’un des plus grands connaisseurs de son œuvre s’est
intéressé à la relation « Je t’aime moi non plus » liant l’auteur de Lolita à la ville de Paris. Dans les
années 1930, l’écrivain peine à trouver sa place dans la capitale française
entre ses confrères émigrés russes et le monde des lettres françaises qu’il
essaie de conquérir. Fasciné par les couchers de soleil vus à travers l’Arc de
Triomphe, mais incapable de travailler, absorbé par sa romance avec la
poétesse Irina Guadanini et démarchant en vain les éditeurs de la rive gauche,
ce Nabokov est bien différent de l’auteur à succès célébré par Gallimard en 1959,
mais aussi du personnage excentrique et haut en couleur reçu par Bernard Pivot
dans ses Apostrophes en 1975.
Même si Nabokov avait déjà publié plusieurs
romans en langue russe et anglaise avant Lolita,
c’est ce dernier livre qui a changé son destin littéraire. Refusé par six
éditeurs américains qui craignaient des poursuites judiciaires ou morales,
l’histoire de Humbert Humbert est publiée par Olympia Press, à Paris, en 1955.
Malgré un catalogue prestigieux (Jean Genet, Samuel Beckett, etc.), la maison
d'édition fondée par Maurice Girodias est spécialisée dans l'édition d'œuvres
sulfureuses. Ce n’est que trois ans plus tard que le livre sort aux États-Unis,
chez Putnam. Il connaît un grand succès, restant pendant 180 jours en tête des
meilleures ventes du pays. Lolita est
même le second roman, après le best-seller Autant
en emporte le vent de Margaret Mitchell (1936), à atteindre le seuil des
100 000 exemplaires vendus en trois semaines. Depuis, Lolita s'est vendu à plus de 15 millions
d'exemplaires dans le monde
Le rôle joué
par la censure dans l’affaire Lolita
a fait l’objet de la présentation de Julie Loison-Charles de Université Lille
3. Censurée pour des raisons politiques dans son pays natal, l’œuvre de Nabokov
l’était aussi à l’Occident, mais plutôt pour des raisons morales. Au début,
Nabokov souhaitait même publier son roman sous un pseudonyme craignant pour sa
réputation d’enseignant dans une université américaine. Heureusement, il a été
soutenu par des confrères de renom comme Graham Greene qui s’est déclaré prêt à
aller en prison pour faire publier son livre. La chercheuse a rappelé que Lolita avait été interdit dans plusieurs
pays du monde, souvent sous prétexte de protection de la jeunesse (même si le livre n'a jamais été destiné au jeune public), et ce
“lolitige” connaît de nouveaux
rebondissements 60 ans plus tard. Devenue un classique de la littérature du XXe
siècle, le roman reste néanmoins très controversé dans la Russie d’aujourd’hui où
l’Eglise orthodoxe demande son interdiction pour la propagation de la pédophilie.
Agnès
Edel-Roy, présidente des « Chercheurs enchantés », a relaté
l’histoire de la publication française de Lolita
(1956-1959) d’après les documents conservés dans les archives des Editions
Gallimard. La correspondance de Nabokov avec son éditeur et son premier
traducteur Eric Kahane, le frère de Maurice Girodias, fournit des
informations précieuses sur les coulisses de cette édition ainsi que sur la
fameuse intransigeance de Nabokov en matière de traduction. De son côté,
Nicolas Guerrero, avocat au barreau de Paris, a exploré l’aspect judiciaire de
l’univers du roman. Son auteur fait du lecteur une dernière instance, le juge
et le juré. Le roman pose des questions sur la responsabilité légale et morale
de son héros, mais aussi sur une éventuelle complicité du lecteur.
D’autres
interventions ont été consacrées à l’héritage de la nymphette nabokovienne dans la littérature contemporaine et
aux aspects multitextuels qui ne se limitent pas aux textes littéraires. Très
variées et issues des univers différents, ces études ont un point commun. Elles
s’accordent à présenter le chef-d’œuvre de Nabokov comme une réflexion sur la
culture au sens très large du terme. Mais aussi comme le triomphe du talent
opérant, à la limite de la magie, une transfiguration poétique de la matière
brute qui, au départ, ne s’y prête pas forcément. Un sujet graveleux et trash comme porte d’entrée à la “découverte du mythe” (N. Berberova), tel est
le vertigineux pari de l’auteur de ce roman étonnant qui n’a pas encore livré tous ses
secrets.
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