Cette année encore, sous le
sapin, des millions d’enfants recevront des cadeaux au code couleur
traditionnel : du bleu, du gris, ou du noir pour les garçons, du rose ou
du violet pour les filles. Aux premiers, l'exploration, la découverte,
l’invention, le combat, le danger, l’aventure, bref la transcendance si chère à
Simone de Beauvoir. Aux deuxièmes, à travers un design « girly », l’immanence
feutrée et répétitive des fées du logis : l'intérieur, le soin, la
sécurité, le calme, le sentiment... Et comme le jeu présente un aspect
important du développement psychologique et cognitif des enfants, c'est toute
une construction sociale qui s'organise petit à petit autour de la hotte du
Père Noël.
Ces rôles stéréotypés sont
rarement à l’avantage des filles, invitées à s’occuper de la maison, à
pouponner, à rêver au prince charmant et à se préparer à lui plaire en soignant
leur apparence. Ils présentent également le danger d’hypersexualisation des
fillettes, dénoncée par des campagnes contre la publicité sexiste et documentée
dans un rapport du gouvernement de mars 2012.
Outre une séparation caricaturale
des filles et des garçons, les catalogues de Noël témoignent de la diversité
bien plus importante des activités proposées aux garçons et du choix de
cantonner les filles à la sphère privée et aux apparences physiques. Les
garçons disposent d’une gamme d’activités socialement valorisées à travers la
science et la technique. La dévalorisation du féminin va très loin quand un
objet est proposé avec des fonctions différentes pour les filles et les
garçons : ordinateur blanc-gris au design sérieux pour les garçons qui
propose 50 fonctions et sa version pour les filles rose au design ludique,
proposant... 25 fonctions
Les jouets les plus franchement
sexistes sont ceux dits d’imitation (des parents). Dans la partie « comme
maman » : fer à repasser, robot ménager, kit de la caissière ; dans
celle « comme papa » : table complète de bricolage, jeux de
constructions… Ces jouets et la façon de les présenter limitent
l’accomplissement des filles et les enferment dans des rôles stéréotypés,
souvent dépassés dans la réalité par les évolutions de la société et un partage
plus équitable des tâches.
Proposés dès le plus jeune âge,
les jouets sexistes peuvent induire un conditionnement, qui n’est peut-être pas
sans répercussion sur le choix ultérieur de l’orientation scolaire et des
métiers. Placer l’enfant dans un contexte de la ségrégation sexiste bride son
imaginaire, sa créativité et ses projections dans l’avenir. Dénoncée dans les
années 1970, elle perdure, malgré les engagements internationaux, européens ou
nationaux de lutte contre les stéréotypes de genre qui assignent filles et
garçons à des rôles culturellement construits par la société. Le phénomène a
même tendance eu à s’amplifier depuis les années 1990, avec la multiplication
des cibles commerciales sous les contraintes du marché, notamment au travers
les nouvelles gammes de jeux de construction spécial filles. Emissions télé,
publicité, commerce, magazines pour les parents et nombre d’ouvrages pseudo
psychologiques, tout conforte des clivages de genre, opposant de pseudo valeurs
« féminines », par exemple la passivité, à des valeurs qui seraient
intrinsèquement « masculines » comme l’agressivité et la conquête du
monde. Or ce clivage soit disant naturel est démenti par des études récentes
qui témoignent de la plasticité du cerveau humain.
Heureusement, de nombreux
parents, associations, consommateur et consommatrices, excédés par le
"marketing genré" commencent à prendre des initiatives. En France, le
blog macholand.fr, qui propose aux internautes de signaler des faits sexistes, a épingle les hypermarchés Cora pour leur catalogue 2014
avec un message à leur envoyer : "J’ai rencontré hier une petite
fille qui voulait jouer avec des robots et un petit garçon qui voulait jouer à
la poupée. Si l’on en croit votre catalogue, ce n’est pas possible. Ma question
est la suivante : ces enfants seraient-ils de dangereux déviants ou (autre
hypothèse), votre catalogue ne serait-il plus tout à fait adapté au 21ème
siècle et nécessiterait une petite mise à jour ? Merci de faire le
nécessaire pour ouvrir le champ des possibles aux enfants et ne pas leur fermer
des portes avant leur 10ème anniversaire !"
Cette année, les des associations
féministes lancent une nouvelle campagne de sensibilisation aux stéréotypes
sexistes véhiculés par les jouets, baptisée "Marre du rose". Des
militantes d’"Osez le Féminisme" et des" Chiennes de garde"
distribuent actuellement des tracts devant des magasins de jouets à Paris et
dans plusieurs villes de France. Elles demandent notamment l'abandon par les
magasins des rayons séparés filles/garçons et également du code couleur
rose/bleu. Elles invitent aussi le grand public à interpeller l'industrie du
jouet, en envoyant sur les comptes Facebook de grandes enseignes de
distribution et de fabricants un message
disponible sur leur site.
Parmi les jouets incriminés: la
collection Lego Friends destinée aux fillettes, et le Monopoly décliné en rose,
où les "banques et hôtels sont remplacés par des ongleries et des magasins
de lingerie". "Nous nageons en pleine régression", accusent les
militantes féministes. "Nombre de jouets en 1980 étaient unisexes" et
"se passaient de frères à sœurs", rappellent les deux associations.
"Pour doubler votre chiffre d'affaires, vous déclinez des jeux en rose et
en bleu, enfermant filles et garçons dans des rôles totalement périmés".
Cette régression à la fois sociologique et consumériste s’est exacerbée dans le
contexte de la polémique sur "le genre" : certains vont jusqu’à
déplorer l’effort fait par l’enseigne Super U de proposer en 2013 un catalogue
de jouets moins sexiste, montrant des photos de garçons avec des dînettes et de
filles avec des voitures...
Avec humour, les militantes
d'"Osez le féminisme" ont aussi détourné la célèbre chanson "Libérée,
délivrée", du film de Disney, "La Reine des neiges", en
"Libérée... des clichés" : une autre façon de faire avancer le
débat qui est loin d’être clos.
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