La virulence d’un manifeste se
mesure à l’enthousiasme qu’il suscite. Sous-titré Manifeste pour les Faizeux, le livre d’Alexandre Jardin Laissez-nous faire ! On a déjà commencé
réunit plusieurs qualités indispensables pour entrainer ses lecteurs.
Appel à l’action
L’auteur lance un appel à la
famille des « faizeux » qui prennent en charge des problèmes concrets
du pays et fabriquent sur le terrain leur légitimité. Son projet, ce n’est pas de fonder un énième
parti politique prétendument neuf ou un think
tank empilant des rapports volumineux mais un vaste do tank citoyen. Parmi
les mots d’ordre : collaboration, partage unité et inclusion. Il s’agit de
faire de la société civile aux ressources éparses, émiettées, une formidable
puissance politique.
Alexandre Jardin sait de quoi il
parle. Ce sont ces « faizeux » (dont il fait lui-même partie)
qui étaient à l’origine des mouvements citoyens et collaboratifs « Lire et faire lire » et « Bleu Blanc Zèbre ». Ce dernier réunit aujourd’hui
200 opérateurs de la société civile tels que des associations, fondations,
acteurs des services publics, mairies, mutuelles ou entreprises. Ses
participants, les Zèbres, sont regroupés par BBZ dans des Bouquets de solutions
thématiques. Contrairement aux « dizeux », ces « faizeux »
diffuseurs de bonnes pratiques seront jugés sur les faits et non les promesses.
Car « toute promesse est l’aveu d’une impuissance présente. […] Promettre,
c’est désormais se décrédibiliser ».
Colère et révolte
L’auteur n’hésite pas à jeter le discrédit
sur les hommes et partis politiques qui en prennent pour leur grade. Les
premiers en tant que gens irréels aux méthodes empesées et inaccessibles aux
doutes, des « mini-Colbert » étatistes et dirigistes à l’ego démesuré,
« des équipes technocratisées qui ont atteint les limites de l’incompétence ».
Les deuxièmes, en tant que « glaciales machines calculatrices, capables de
s’asseoir sans ciller sur leurs valeurs les plus fondatrices ».
L’écrivain fustige également l’esprit
moutonnier qui empêche un renouvellement audacieux : « Ras le bol de
cette société civile plaintive, obéissante et courbeuse d’échine ! » Parmi
les passages les plus remarquables, un éloge de désobéissance positive,
constructive et solidaire. Lorsque les chemins raisonnables et classiques sont devenus
les impasses, la désobéissance est légitime et nécessaire. Tel est le sens de
cette incantation, appelant à désobéir à aux élus, à la doxa, aux énarques, à
tous les adeptes du déni, aux partis momifiés et à sa propre lâcheté. A ce propos, l’auteur n’hésite pas à invoquer
l’esprit Charlie ou le sursaut républicain ravivant le courage des Résistants.
Force romanesque
L’Histoire a d’ailleurs toute sa
place dans les visions de celui qui « a longtemps porté un masque de
romancier » en essayant de corriger le réel par écrit. L’ouvrage de Jardin
peut être lu aussi comme un récit intime ponctué des rencontres mémorables. L’écrivain
qui depuis L’Île des gauchers ne recule pas devant le genre utopique est
toujours à la recherche du Héros et d’une idée du réel pouvant se substituer à
la fiction pure. D’où les références historiques et le recours aux modèles, ces
« tourbillons humains », comme Churchill ou de Gaulle. Car selon
Jardin, un président, c’est avant tout l’auteur du grand roman national et le
metteur en mots d’une aventure collective. « Or le malheur veut que les
présidents qui se sont succédé depuis François Mitterrand n’ont pas raconté à
la France de grands romans vivifiants ». Telle princesse ensorcelée, la
France lui apparaît comme un réservoir d’énergies dormantes ; elle
n’attend qu’à être réveillée par « les amants de la République ». Une
belle occasion pour célébrer la créativité désordonnée et féconde d’une société
vivante et auto-organisée, l’ingéniosité et l’inventivité exubérante des gens qui se bougent, souvent de façon
bénévole. Les gens inaptes au moule, férus de liberté et naturellement
bienveillants, de « grands caractères anormalement vivants qui redessinent
le monde ». Porté par les réseaux sociaux, cette énergie existe grâce à
l’élan des entrepreneurs, des fonctionnaires innovants, des militants
associatifs qui raisonnent out of the box : « les dingos de vie, les
aspirateurs à idées neuves, les amateurs de folies efficaces et les
gentils » qui exigent un grand rôle. Il ne faut pas leur demander de la cohérence : la complexité de la
vie appelle des solutions très diverses et souvent contradictoires. Ce qui
compte, c’est de faire jaillir des solutions opérationnelles là où les
énarques des ministères ne voient que des
problèmes. C’est la vocation des bouquets des « zèbres » agissant
avec peu de moyens, pour combattre l'illettrisme, éduquer des jeunes, permettre
de trouver ou de retrouver un emploi, mettre des livres à portée de
défavorisés, transporter des personnes à mobilité réduite, donner accès à un
logement décent à ceux qui n'en ont pas.
La force romanesque de Jardin,
c’est aussi sa puissance langagière, cette capacité à nommer les choses qui est
la marque du leadership réel, à
« féconder notre langage » en lui faisant des enfants « exaltés,
turbulents et vivants ». Tels sont par exemple de nombreux néologismes peuplant
les pages de ce livre : conseildétateux,
emparisianisés, marinesque, chruchillesque, charlien, véroniquien,
abbépierresque…
Et pour couronner le tout, il y a
le titre. Le titre en impératif qui ne laisse aucun doute sur l’objet de ce
manifeste. Une injonction plutôt qu’une demande et qui n’est pas sans rappeler
cette tirade véhémente de Marquis d'Argenson, l’un des premiers critiques de
l’interventionnisme à la française « Laissez faire, telle devrait être
la devise de toute puissance publique, depuis que le monde est civilisé. […]
Laissez faire, morbleu ! Laissez faire !! »
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