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Hundertwasserhaus à Vienne |
Rien que son nom a déjà tout d'un
manifeste. Friedensreich Hundertwasser Regentag Dunkelbunt LiebeFrau s’appelait
en réalité Friedrich Stowasser. Celui qui se désignait comme « Le royaume
de la paix (aux) cent eaux » citait tout aussi volontiers la traduction
japonaise de son nom (hyaku-sui). Bien qu'il soit né et ait grandi en Autriche,
le pays d'adoption de Hundertwasser était la Nouvelle-Zélande, et sa principale
maison le navire Regentag (jour de pluie), un ancien navire de commerce
réorganisé.
Dans les années 1970,
Hundertwasser acquiert dans la Bay
of Islands en Nouvelle-Zélande plusieurs propriétés, qui comprenaient avec une
surface totale de 372 ha ,
toute la vallée "Kaurinui". Là, il réalise son rêve de vivre et
travailler dans la nature et entre autres dans le "bottle house"
qu'il avait conçu. Il y installe des capteurs solaires, une roue à eau et une
station de traitement de l’eau par les plantes ce qui lui permet de vivre en
autarcie. Il expérimente aussi la technique des toits plantés. Précurseur du
mouvement écologiste et de l’activisme vert, il avait également construit une
centrale thermique multicolore pour le chauffage urbain de Vienne.
Hundertwasser était imprégné par
le paysage artistique viennois fin de siècle marqué par les courbes et les
ornements de l’Art Nouveau et par la pédagogie alternative de Montessori. Mais
ses constructions organiques, il les puisait aussi dans l'architecture anonyme,
s'inspirant de ses voyages au Yémen, au Soudan, au Japon, en Islande et en
Afrique du Nord. Sa maison idéale peinte
en 1962 possède mille fenêtres qui s'ouvrent au monde.
La variété des couleurs et une
imagination débordante qui refuse de se laisser enfermer dans un carcan font
toute l’originalité de cet artiste. Hundertwasser aimait l'asymétrie, l’abondance
des formes et tout ce qui vient rompre
l'ordre et la monotonie de la géométrie pure. Sa philosophie artistique est
marquée par l’idée de l’osmose, de l’interpénétration organique des strates.
A partir des années 1980, il
travaille à plusieurs grands chantiers en Autriche et en Allemagne. Il avait
notamment créé en 1983 à Vienne un immeuble qui porte son nom: cette
construction, le monument le plus visité de la capitale autrichienne est un
symbole de "l'architecture écologique". Cet édifice très original est
constitué de briques, de céramiques, de matériaux naturels, et agrémenté d'une
végétation luxuriante (253 arbres et arbustes). Le hall abrite même une
étonnante fontaine où l’eau coule à l’envers. Pour réaliser cette construction,
Hundertwasser s’est inspiré des œuvres d’Antoni Gaudi, de Simon Rodia (Watts
Towers), mais également de l’architecture anonyme des jardins ouvriers et des
livres de contes.
En quête de l’harmonie
spirituelle, il créé des formes originales et cherche à tisser des rapports étroits
entre l'art et la nature. Leur travail commun faisant jaillir une créativité
spontanée apparaît sous forme symbolique qu’il appelle « la moisissure
créatrice ». En 1958 à Wiesbaden, il publie son Manifeste
de la moisissure contre le rationalisme en architecture
(Verschimmelungs-Manifest gegen den Rationalismus in der Architektur) marqué
par un esprit existentialiste et antitotalitaire. Alors qu’il est encore loin
de ses réalisations architecturales, il exprime d’ores et déjà dans ce texte
son idée maîtresse d’une architecture humaine et participative. Rejetant tout
élitisme et tout diktat du diplôme, il y parle de la nécessité d’appliquer à
l’architecture cette liberté de créer n’importe quelle œuvre et de l’exposer
qui existe déjà en peinture et en sculpture. « L’architecture subit dans
notre pays la même censure que la peinture en Union soviétique. Les
constructions ne sont que de lamentables compromis réalisés par des gens à
l’esprit linéaire et agissant avec mauvaise conscience ! Chaque individu
doit pouvoir construire, doit construire, afin d’être véritablement responsable
des quatre murs entre lesquels il habite ».[1] Hundertwasser
affirme préférer le foisonnement architectural sauvage des bidonvilles à
l’architecture utile et fonctionnelle. Voilà pourquoi il appelle à supprimer
« la jungle de lignes droites qui nous enferment comme dans une
prison » et de se révolter contre le fait d’être mis dans les boîtes,
« comme des poules et des lapins en cages ». A cet effet,
l’architecte, le maçon et l’habitant doivent former une trinité, au même titre
que Le Père, Le Fils et le Saint-Esprit. L’homme doit retrouver la fonction
critique et créatrice sans laquelle il cesse d’exister en tant qu’être humain.
« Dans son appartement, un
homme doit avoir la possibilité de se pencher par la fenêtre et de gratter la
maçonnerie aussi loin que possible. Il doit avoir le droit de peindre tout en
rose, aussi loin qu’il le peut, avec un long pinceau, de sorte qu’on puisse le
voir de la rue et penser : l’homme qui habite là ne ressemble pas à ses
voisins, au petit bétail discipliné ! Il doit également pouvoir débiter
les murs à la scie et entreprendre toutes sortes de transformations même si
cela doit détruire l’harmonie architecturale d’un ouvrage d’un maître de
l’architecture. Et il doit pouvoir remplir ses pièces de boue et de pâte à
modeler ».[2]
A ses yeux, la ligne droite est
impie et immorale. « Il y a en elle moins d’esprit humain et divin qu’un
esprit de fourmi sans cervelle et avide de confort ». C’est pour cette
raison que depuis sa première spirale peinte en 1953 dans l’atelier parisien de
son ami René Brô il préfère cette forme symbolisant la transformation de la matière
inanimée en vie. A la fois infinie et toujours revenant sur elle-même, elle
évoque les cercles de croissance d’un arbre ou des couches sédimentaires.
« Je suis convaincu que l'acte de création
s’est fait sous forme de spirale.
[…]
La spirale pousse et meurt végétative,
c’est-à-dire que les lignes spiroïdales se déroulent tels que les méandres des
fleuves et suivent loi de la croissance des plantes. Elle n’oblige en aucune
façon le déroulement, mais elle se laisse diriger. En conséquence, il lui est
impossible de faire des erreurs."
Mort à bord du Queen Elizabeth 2
le 19 février 2000, Friedensreich Hundertwasser
est enterré dans sa propriété en Nouvelle-Zélande sous un tulipier, sans
cercueil, nu et enveloppé dans un "Koruflagge" (drapeau qu'il a conçu
pour la
Nouvelle-Zélande ). Sa vie était inséparable de son art, et
tous les deux sont restés en accord avec son credo : « Si quelqu'un
rêve seul, ce n'est qu'un rêve. Si plusieurs personnes rêvent ensemble, c'est
le début d'une réalité ! »
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