Ioulia Berezovskaya |
Le 22 mai, dans le cadre du
séminaire "Pouvoir et Médias, d'une domination à l'autre", animé
par Françoise Daucé, l’EHESS a accueilli Ioulia Berezovskaya, directrice
générale de grani.ru, le principale site de l’opposition en Russie. Créé
en 2000, ce site d’information est devenu un espace de résistance dans le
paysage médiatique russe. Il offre une tribune à des chroniqueurs indépendants
de talent et à des figures de
l’opposition invisibles sur les principales chaînes de télévision. Comme Ioulia
Berezovskaya l’a évoqué lors de son intervention à l'EHESS, la violation des droits de
l’homme, le sort des prisonniers
politiques et les actions de protestation ont toujours été au centre des
préoccupations de grani.ru. Le site a fermement condamné les opérations
militaires menées en Tchétchénie, en Géorgie et en Ukraine. Il a enquêté sur
les attentats terroristes qui ont eu lieu à Moscou en 1999 et la prise d’otages
en 2002, a
soutenu la « Marche du désaccord » dans de nombreuses villes russes
et a suivie l’affaire Pussy Riot en 2012-2013.
Il n’est pas étonnant que le site
soit devenu le
premier média bloqué en Russie, en mars 2014, en application de la “loi
Lougovoï ”promulguée trois
mois plus tôt : celle-ci autorise le blocage immédiat de sites internet
“appelant à prendre part à des manifestations non autorisées”, assimilés à des
publications “extrémistes”. En cultivant
un discours anxiogène, qui fait passer Internet pour un espace anarchique
et décadent, le pouvoir en place tente de limiter la liberté d'expression et de
contrôler des usages citoyens du web. Depuis 2012, pas moins de huit
textes de loi ont été adoptés pour encadrer les médias, plusieurs autres sont
encore à l’étude.
C’est ainsi le site Grani a été
bloqué sans avertissement préalable par les fournisseurs d'accès suite à un
ordre du Roskomnadzor, le
service fédéral de surveillance des télécommunications. Si avant l’entrée en vigueur de cette loi le
service de censure exigeait la suppression des éléments spécifiques du site, il
bloque aujourd’hui le site entier. « On nous a dit que le contexte du site
appelle au rassemblement illégal. Pour être débloqué, il faudrait que l'on retire
le site dans son ensemble, c'est absurde», souligne Ioulia Berezovskaia qui
travaille désormais à Paris avec des ressources réduites. En apparence, cette
femme calme à la voix douce n’a rien d’une pasionaria. Mais la ligne
éditoriale de Grani ne fait l’objet d’aucun compromis. Soutenue par Amnesty
International qui publie un rapport dénonçant l'acharnement en Russie pour contrôler les
opinions, la journaliste continue à se battre contre la censure et la
propagande.
Après avoir contesté en vain le
blocage devant la justice russe, l’équipe de Grani compte aller devant la Cour européenne des droits del’homme. Le site forme également ses internautes à contourner techniquement le
blocage, par exemple en rendant anonyme l’adresse de connexion. Car même liker
et partager les publications indésirables sur les réseaux sociaux peut leur coûter très cher, tandis que des
commentaires haineux des trolls du Kremlin se déversent non-stop sur la toile. Mais en dépit de ces difficultés, le site
dispose toujours d’une fidèle audience dans le pays où les grands médias n’ont
aucune chance de conserver leur indépendance.
« Dispersés, nos
collaborateurs sont aujourd’hui la cible de manœuvres d’intimidation, mais nous
pouvons encore inverser la tendance, affirme Ioulia Berezovskaya. Il est grand
temps de lancer une vaste campagne internationale contre la censure en
Russie ».
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