jeudi 2 avril 2015

Celles qui imitent les hommes

Larissa Goloubkina dans La Ballade du hussard


La femme doit-elle être féminine ? La question n’est pas saugrenue. « Défiant l’ordre sexuel rigide de nos sociétés, le travestissement a une saveur sulfureuse », affirme Hélène Soumet, auteur du livre Les travesties de l’Histoire (First, 2014). De nos jours encore, les femmes vêtues d’un pantalon sont lapidées ou fouettées dans de nombreux pays du monde, car elles menacent l’ordre établi et les prérogatives de la gent masculine. En Europe, des femmes politiques influentes se travestissent ou adoptent les codes mâles pour montrer que les choses seraient différentes si elles étaient des hommes. Ainsi à chaque époque, dans chaque civilisation, le travestissement révèle le niveau d’inégalité et les discriminations, des préjugés et des superstitions dont les femmes sont victimes.

Elles se travestissent depuis des siècles, souvent au risque de leur vie. Certaines le font par goût de l’aventure, comme Mademoiselle de Maupin, héroïne duelliste du roman éponyme de Théophile Gautier. D’autres pour des raisons sociales, biologiques, psychologues ou encore vestimentaires. Au XIXe siècle, fait pour attirer les regards des hommes, le costume féminin entrave les mouvements, empêche la respiration. Madeleine Pelletier, première femme française interne en psychiatrie, a dénoncé le caractère servile du décolleté des "poupées sexuelles" : « Je les montrerai (mes seins) quand les hommes porteront des vêtements qui montrent leurs… ».

George Sand raconte son plaisir à sauter par la fenêtre, à marcher seule dans les rues, travestie en homme. Quand elle était jeune, on la força à porter son premier corset, mais horrifiée par cet instrument de torture, elle le découpa en morceaux et le jeta dans un tonneau.

Le geste de George Sand est emblématique aux yeux d’Hélène Soumet qui a décidé d’écrire un livre sur les femmes lorsqu’un éditeur a, sans son avis, supprimé tous les textes sur les femmes philosophes. Choisissant  vingt-trois noms parmi plus de cent trente femmes travesties répertoriées, l’auteure retrace les destins de celles qui par leur courage et leur détermination ont ouvert la voie aux libertés féminines.

Certaines ne sont démasquées qu’à leur mort, comme l’étrange James Barry (Miranda), chirurgien militaire le plus gradé de l’Empire britannique décédé en 1865. Femme travestie, inscrite dès 14 ans à l’université d’Edimbourg pour étudier la médecine, elle termina sa brillante carrière à Montréal. Devant le scandale provoqué par la révélation, l’armée enterra James Barry sans les honneurs militaires dus à son rang et garda secrètes les archives le concernant jusqu’en 1950.

Nadejda Dourova (1783-1866), fille d’une noble famille russe, profite du passage dans sa ville d’un régiment de Cosaques pour suivre sa vocation : elle se coupe les cheveux, se travestit en Cosaque et rejoint l’armée du tsar où elle se fait enrôler sans dévoiler son identité. Elle se distingue donc dans l’histoire de la littérature pour avoir embrassé, comme Louise Labé, la carrière des armes avant la carrière des lettres, et avoir recherché dans l’une comme dans l’autre la liberté que les convenances du monde lui refusaient.  « De quel sentiment joyeux mon cœur était empli à la vue des vastes forêts, des immenses champs, montagnes, vallées et ruisseaux, en pensant que je pouvais aller dans tous ces lieux sans en rendre compte à quiconque », écrit cette Cavalière du Tsar.

Au Vème siècle la jeune Mulan devint, dans la Chine du Nord, général dans l’armée de l’Empereur des Wei. Elle alliait la force acquise par l’entraînement guerrier à la ruse féminine. Rassemblant les puissances du yin et du yang, Mulan fut une guerrière remarquable et très dangereuse. Après douze années de combat, elle rentra chez ses parents et se découvrit comme femme auprès de ses troupes. Apprenant sa féminité, l’empereur l’envoya chercher pour l’épouser et l’enfermer dans son gynécée. Fière guerrière, Mulan se transperça le cœur de son épée pour échapper à cette prison.

Ces combats légendaires qui semblent si lointains ne le sont pas vraiment : rappelons que la loi de 1800 interdisant le port du pantalon aux femmes a été abrogée... en 2013. On peut noter une vraie continuité entre les pionnières du travestissement et les figures comme Marlene Dietrich, Greta Garbo, Katharine Hepburn et, plus récemment Jane Birkin ou Patti Smith cassant les codes de la mode féminine.




Liste des femmes héroïnes du livre « LES TRAVESTIES DE L’HISTOIRE »


Saintes et mystiques
Sainte Thècle (Turquie) au I et II siècle, 
Sainte Pélagie (Turquie) 430-457), 
Wilgeforte(Portugal), 
Jeanne d’Arc (France) (1412-1431)

Guerrières :
Mulan (Chine) IV-Ve siècle, 
Catalina de Erauso (Espagne) (1581-1645)
Les pirates Anne Bonny(Irlande) (1697-1782)
et Mary Read (Angleterre) (1685-1721)
Hannah Snell (Angleterre) (1723-1792) 
Nadedja Dourova (Russie) (1783-1866)

Savantes et intellectuelles
Agnodice (Grèce antique) vers 305 av JC, 
Dr James Barry (Irlande ou Ecosse) (1795-1965), 
Louise Michel (France) (1830-1905), 
Madeleine Pelletier (France) (1864-1939)

Aventurières et voyageuses : 
Jeanne Barret (France) (1740-1807), 
Jane Dieulafoy ( France) 1851-1903, 
Calamity Jane (USA) (1856-1903), 
Isabelle Eberhardt (Suisse et Algérie) (1877-1904)

Artistes et créatrices : 
George Sand (France) (1804-1876) 
Billy Tipton (USA) (1914-1989) 
Rosa Bonheur (France) (1822-1899) 
Marc de Montifaud (France) (1850-1912)
Colette (France) (1873-1954)



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